La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789

La Déclaration des Droits de l'Homme et du CitoyenHistoire du droit

Pascal Nicollier, Fribourg, 1995

Le travail de séminaire “La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789” de Pascal NICOLLIER est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage à l’Identique 3.0 Suisse.

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Sommaire

  • Table des matières
  • Texte du travail de séminaire
  • Texte de la déclaration
  • Bibliographie et jurisprudence
  • Notes
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Table des matières

1. Introduction

2. Le contexte

2.1. L’Ancien Régime

2.1.1. Le roi
2.1.2. La noblesse
2.1.3. Le clergé
2.1.4. Le tiers état

2.2. Les causes de la révolution française

2.2.1. Les causes philosophiques
2.2.2. Les causes économiques et financières
2.2.3. Les causes politiques

3. L’avènement du texte

3.1. Les États généraux

3.1.1. La convocation de 1798
3.1.2. Les cahiers de doléances

3.2. L’Assemblée Nationale

3.3. L’Assemblée Constituante

3.3.1. La nuit du 4 août 1789
3.3.2. Les tendances de l’Assemblée Constituante

4. Les idées générales

4.1. La lutte contre l’Ancien Régime

4.1.1. Les objectifs de la Déclaration
4.1.2. Les changements apportés par la Déclaration

4.2. Les bases d’une nouvelle société

4.2.1. La vocation universelle de la Déclaration
    4.2.1.1. Les principes philosophiques
    4.2.1.2. Le culte de «l’Être Suprême»
4.2.2. La rupture de l’Ancien Régime

4.3. Le contrat social

5. Les sources de la Déclaration

6. Les différentes parties du texte

6.1. Le préambule

6.2. Les articles 1er à 4 : l’ordre républicain

6.3. Les articles 5 à 9 : la loi

6.4. Les articles 10 à 17 : les principes fondamentaux

7. Conclusion

7.1. L’influence historique

7.2. L’influence en droit constitutionnel suisse

Texte de la Déclaration

Bibliographie

Jurisprudence

Notes


1. Introduction

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 est le texte qui marque l’apogée de l’idéologie de la révolution française. Il concentre en quelques lignes toutes les principales revendications d’un peuple en lutte contre le régime auquel il est soumis. Ce texte représente aussi une des premières pierres du droit constitutionnel moderne, basé essentiellement sur la description des libertés que l’homme doit pouvoir faire valoir à l’encontre de l’État.

2. Le contexte

2.1. L’Ancien Régime

L’Ancien Régime est l’organisation politique et sociale des États de l’Europe occidentale et centrale aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les souverains règnent en monarques absolus. La noblesse et le clergé jouissent d’une situation privilégiée. Le commerce à l’intérieur des pays et entre les pays est relativement peu développé. Artisans et négociants sont pour la plupart groupés en corporations qui réglementent la fabrication et la vente, entravant le développement industriel. Les paysans, qui forment la majeure partie de la population, paient presque tous les impôts. Les sujets ne bénéficient pleinement ni de la liberté d’opinion, ni de la liberté économique, ni de la liberté individuelle.

L’Ancien Régime est personnifié par le roi de France, chef du Royaume et monarque absolu de droit divin. Contrairement aux principes qui seront développés par la révolution, le pouvoir du roi est issu directement de Dieu. C’est notamment contre cette conception spirituelle du pouvoir que les révolutionnaires opposeront celui du peuple. Le pouvoir du roi est cependant considérablement limité par un enchevêtrement de lois, de coutumes et de privilèges qui diffèrent d’une province ou d’une ville à l’autre. On applique toujours plus ou moins le droit romain (écrit) dans le sud et le droit coutumier (non-écrit) dans le nord. En plus des nombreuses différences de réglementation, le Royaume de France est morcelé par des douanes intérieures, par des monnaies, poids et mesures différents. Ajoutées aux impôts, taxes et redevances excessives, ces différences régionales paralysent le développement du commerce et finalement l’économie toute entière.

2.1.1. Le roi

Marie-Antoinette

Louis XVI succède à son grand-père, Louis XV en 1774, à l’âge de 20 ans. Honnête, sincère et mu par une bonne volonté, il est bien accueilli sur le trône. Toutefois, ces qualités ne lui soustraient pas de l’influence de sa femme Marie-Antoinette, fille de Marie-Thérèse d’Autriche, et des nobles de sa Cour, dont un grand nombre sera hostile à toute réforme.

Si le respect du roi est encore vif dans les campagnes, son prestige décline peu à peu dans les villes. On critique son entourage, et surtout sa femme (surnommée «l’Autrichienne»), pour toutes leurs dépenses somptuaires et les scandales qui les éclaboussent (affaire du collier de la reine). Au vu de la dégradation de la situation du Royaume de France, les ministres Turgot, puis Necker tenteront d’agir par d’audacieuses réformes, mais Louis XVI, ne parvenant pas à s’y rallier, les renverra tour à tour.

2.1.2. La noblesse

La noblesse est composée d’environ 400’000 personnes, dont 80’000 possédant un quart du sol et continuant à percevoir les droits féodaux. Au Moyen Âge, les nobles assuraient la sécurité dans leurs territoires et protégeaient leurs vassaux et leurs paysans. En échange, ces derniers payaient diverses redevances : champart (partie de la récolte), banalités (taxes pour l’emploi d’infrastructures mises à disposition de tous : moulin, pressoir, etc.), cens (droits à payer pour l’utilisation du sol) et autres corvées (services rendus au suzerain). On distinguait plusieurs noblesses. La noblesse de cour était la plus privilégiée : 12 % du budget de l’État était réparti entre 4’000 familles ! Elle disposait des plus hautes fonctions de l’État, soit la gestion des charges royales, du gouvernement, de l’armée et de l’Église. Les nobles «présentés» vivaient pour la plupart à Versailles ou dans de grandes résidences parisiennes.

La noblesse de campagne était beaucoup plus nombreuse : il s’agissait plutôt des gentils hommes campagnards. Ceux-ci vivaient dans leurs territoires féodaux. Ils fournissaient notamment des hommes à l’armée et à la marine.

La noblesse de robe comprenait des hauts magistrats de l’ordre judiciaire qui avaient racheté leur charge et qui siégeaient dans les parlements de Paris et des provinces1. Face à la bourgeoisie commerçante et montante, on assiste à une «réaction nobiliaire». Les nobles remettent des vieux privilèges en vigueur, alors qu’ils étaient tombés dans l’oubli. Cette réaction augmentera encore le mécontentement face à la noblesse.

2.1.3. Le clergé

Le clergé compte environ 130’000 membres, qui se répartissent plus d’un dixième du sol de la France. Il assure le culte catholique et l’enseignement (bien qu’une large majorité des paysans ne sachent pas lire). Le clergé est divisé en haut clergé, aristocratique, riche, vivant à la Cour, et le bas clergé, plus près du peuple et de ses considérations politiques. L’Église ne paie presque pas d’impôt, mais prélève en revanche la dîme des récoltes.

2.1.4. Le tiers état

Le tiers état regroupe 98 % de la population. Il s’agit d’une classe de la société méprisée, qui n’a presque aucun droit et qui est plus ou moins seule à payer des impôts. Le tiers état est composé de trois différentes catégories de personnes. Les paysans sont environs 16 millions, dont un tiers sont propriétaires de leur sol. L’agriculture est archaïque, on pratique encore la jachère et certains serfs n’ont toujours pas le droit de quitter la terre sans l’autorisation du seigneur. Les artisans réclament l’abolition des corporations. Les petits ateliers font place de plus en plus à de petites usines, qui témoignent de l’aube de la révolution industrielle. Enfin, les bourgeois représentent la catégorie de gens qui seront les plus actifs dans la révolution qui suivra l’Ancien Régime. Ils occupent les professions libérales, commerçantes et industrielles. Ils sont particulièrement tributaires du développement économique du pays, mais constamment mis à l’écart des grandes décisions politiques. La réaction nobiliaire, les excès des aristocrates et le refus du roi devant toute réforme pousseront les bourgeois à faire la révolution.

2.2. Les causes de la révolution française

L’idée révolutionnaire est née d’une volonté de changements structurels profonds : il s’agissait de «rendre» le pouvoir à ceux qui étaient gouvernés. La révolution a éclaté à cause de l’incapacité du pouvoir à s’adapter à des conditions nouvelles. Alors que la plupart des bourgeois de l’époque désiraient une adaptation du pouvoir à une monarchie parlementaire (comme cela s’était fait en Angleterre), la révolution a été une sorte d’accident, dû aux crises économiques (mauvaises récoltes, disettes, etc.) et aux mauvais choix des dirigeants politiques. On peut distinguer plusieurs causes de la révolution : causes philosophiques, économiques et politiques.

2.2.1. Les causes philosophiques

Avec l’avènement du Siècle des Lumières, la raison se substitue à l’autoritarisme et à la tradition. On retrouve la foi dans le progrès et on réclame la liberté dans tous les domaines. Descartes proclame la supériorité du rationalisme et de l’esprit critique. Montesquieu met au point une nouvelle gestion de l’autorité fondée sur trois pouvoirs indépendants les uns des autres : le législatif (assemblée élue, qui représenterait le peuple), l’exécutif (le roi et ses ministres) et le judiciaire (magistrats). Voltaire prône plutôt un système parlementaire à l’anglaise, où le roi règne, mais ne gouverne pas. Il encouragera notamment Frédéric le Grand de Prusse à pratiquer le despotisme éclairé : pouvoir absolu du souverain, mais conseils donnés par des philosophes. Jean-Jacques Rousseau croit fermement à l’égalité des hommes. Il considère que la majorité du peuple est bonne par nature, et a donc le droit d’imposer sa volonté sur la minorité (doctrine de la volonté générale). Les Encyclopédistes, tels Diderot, d’Alembert et d’autres, réclament la liberté de pensée, d’expression et l’égalité devant la loi. Des mouvements revendiquent des formes de pouvoir républicain, tels la Franc-maçonnerie ou d’autres «clubs» parisiens. Enfin, l’influence anglo-saxonne joue aussi un grand rôle : monarchie parlementaire en Angleterre, préambule de la Déclaration d’indépendance en Amérique, et plusieurs philosophes comme John Locke ou encore Adam Smith (prônant le libéralisme économique dans son célèbre ouvrage : «La richesse des nations»).

2.2.2. Les causes économiques et financières

Les années qui précèdent la révolution sont des années noires du point de vue économique. La réaction nobiliaire2 ruine les paysans. L’accroissement démographique crée un surplus de bouches à nourrir et des jeunes improductifs. Les mauvaises récoltes de 1787 et 1788 entraînent des disettes. Ce cercle infernal provoque une crise économique : le trésor royal est vide, car les impôts ne rentrent plus et les classes dirigeantes s’opposent à toute réforme fiscale. Les parlements refusent d’enregistrer de nouveaux impôts. L’État est au bord de la banqueroute.

2.2.3. Les causes politiques

Louis XVI

Malgré les revendications et la crise économique, le pouvoir royal et la noblesse font la sourde oreille devant toute réforme et continuent à s’octroyer des dépenses somptuaires, cela au nez et à la barbe du tiers état. Les personnes privilégiées par le système parviennent à obtenir le renvoi de Turgot (1774-1776) puis de Necker (1776-1781) : deux ministres réformateurs acquis à la nécessité de changements fiscaux au détriment de la noblesse. En 1787, le parlement de Paris refuse d’enregistrer les édits créant de nouveaux impôts. Plusieurs parlementaires sont arrêtés de force. Le parlement proclame alors les lois fondamentales de la Nation, parmi lesquelles l’obligation de faire voter les impôts par les États généraux. Sous la pression du parlement de Paris et des autres parlements ayant suivi ce mouvement de protestation, Louis XVI rappelle Necker, puis convoque les États généraux le 1er mai 1789, pour la première fois depuis 1614.

3. L’avènement du texte

Les États généraux ne représentant pas la véritable volonté de la Nation, le tiers état, accompagné par le bas-clergé et quelques nobles «éclairés», va ressentir le besoin de donner une nouvelle ligne politique au Royaume de France. Peu à peu, les «républicains» vont se distancer des institutions héritées de l’Ancien Régime pour s’auto-proclamer nouveau souverain du peuple français. C’est l’avènement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, fer de lance de la révolution, puis préambule de la Constitution de la première République de 1791.

3.1. Les États généraux

Les États généraux forment une assemblée convoquée par le roi et qui comporte des députés représentant les trois ordres : clergé, noblesse et tiers état. Les membres sont élus dans le cadre des circonscriptions que sont les bailliages. Cette institution date du XIIIe siècle et sert à consentir aux nouveaux impôts proposés par le roi. Les députés ont deux pouvoirs : celui d’écouter ad audiendum et celui de rapporter à leurs mandants ad referendum. Ils ont un mandat impératif lié à l’ordre du jour imposé par le roi. Leur seul pouvoir d’action consiste à dresser une liste de doléances au roi ; mais ce dernier n’y est pas soumis.

3.1.1. La convocation de 1789

L’Abbé Sieyès

Le 1er mai 1789, Louis XVI convoque les États généraux : le tiers état réunit 578 députés, tous bourgeois, dont 200 avocats, et quelques nobles (Mirabeau) ou prêtres (Abbé Sieyès). Les deux autres ordres totalisent 561 siègent, répartis à raison de 291 pour le clergé et 270 pour la noblesse. Mais, en dépit du «doublement du tiers» accordé par le roi, le vote continue à se faire par ordre, et non par tête. Le tiers état est donc continuellement en minorité et ne peut pas faire valoir les cahiers de doléances que ses électeurs lui ont transmis.

 

3.1.2. Les cahiers de doléances

Ces cahiers de doléances sont les plaintes et les souhaits des électeurs des circonscriptions des membres du tiers état (les bailliages). Leur ton est ferme, mais modéré : la population fait encore confiance au roi. Nombreux sont ceux qui voient en Louis XVI leur protecteur naturel, susceptible de mettre fin aux abus qu’on lui signalera. Ces cahiers sont à peu près unanimes sur certains points : on veut limiter les pouvoirs du roi par une constitution, on désire que les États généraux soient régulièrement convoqués, on réclame l’égalité devant l’impôt accompagnée d’une réforme fiscale, enfin on demande l’abolition des droits féodaux, des corporations, des privilèges et des lettres de cachet3.

3.2. L’Assemblée Nationale

La réunion des États généraux à Versailles dure environ six semaines. Ni le roi, ni son ministre des Finances Necker n’est prêt à concéder autre chose qu’une augmentation massive des impôts assortie de quelques réformes mineures. Le 17 juin 1789, le tiers état réagit. Constatant qu’il représente 98 % de la population, il propose aux membres des deux autres ordres de le rejoindre. Avec l’appui d’une faible majorité du clergé et de quelques nobles, le tiers état se proclame Assemblée Nationale. Dès sa constitution, cette assemblée déclare nuls les impôts levés sans son consentement et entend procéder à la «régénération nationale». C’est là le premier acte révolutionnaire. Le 20 juin 1789, les membres de la nouvelle Assemblée Nationale se rendent en vain dans la salle qui abrite ordinairement les États généraux, mais la porte est close. Les députés, présidés par l’astronome Bailly, se rendent alors non loin de là, au Jeu de paume. C’est dans ces locaux que les membres de l’Assemblée Nationale prêtent le serment solennel de ne jamais se séparer jusqu’à ce que la Constitution soit parachevée.

Le Serment du Jeu de Paume du 20 juin 1789

Le 23 juin 1789 le roi reconvoque les États généraux en séance plénière : il y affirme son pouvoir souverain et ordonne aux trois ordres de siéger séparément.

Si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m’abandonniez dans une si belle entreprise, seul je ferais le bien de mes peuples, seul je me considérerais comme leur véritable représentant… Aucun de vos projets, aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale… Je vous ordonne, messieurs, de vous séparer tout de suite et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances.

Louis XVI aux États généraux (23 juin 1789)4

Les membres du tiers état se révoltent contre le mépris de la couronne et refusent de quitter la salle des États généraux tant que le roi n’accepte pas leur réforme.

Nous ne quitterons nos places que par la force des baïonnettes!

Mirabeau répondant à un officier du roi (23 juin 1789)5

Devant l’obstination des députés de l’Assemblée Nationale, le roi finit par céder et accepte que le clergé et la noblesse délibèrent en commun avec le tiers état. Le 9 juillet 1789, les États généraux ainsi constitués se proclament Assemblée Constituante. Cette nouvelle Assemblée est chargée maintenant de rédiger une nouvelle constitution : elle dispose donc de pouvoirs supérieurs par rapport au roi, car elle devra établir quels seront les droits et les devoirs réciproques du roi et de la nation. C’est le début de la forme juridique de la révolution française : la souveraineté passe des mains du roi à celles du peuple.

3.3. L’Assemblée Constituante

Malgré la tension ambiante, le roi et son entourage persistent et réaffirment leur volonté de maintenir le statu quo politique. Des troupes mercenaires se rassemblent aux environs de Paris. Le 11 juillet 1789, Louis XVI renvoie le ministre Necker et le remplace par une personne hostile à toute réforme. Devant la peur de perdre les acquis politiques de l’Assemblée Nationale, une milice bourgeoise se constitue. Le 14 juillet 1789, un jeune journaliste nommé Camille Desmoulin, appelle le peuple aux armes. Celles-ci sont prises à l’Hôtel des Invalides, puis à la prison de la Bastille. C’est la date clef de la révolution française, qui est devenue aujourd’hui la fête nationale. Mais cet instant marque aussi le premier massacre de la révolution : tous les gardes du fort de la Bastille sont tués, et leur tête promenée au bout d’un pique à travers les rues de Paris. Bien que la Bastille ne contînt alors que sept prisonniers de droit commun, c’était un symbole de l’absolutisme royal qui s’effondrait.

La prise de la bastille du 14 juillet 1789

Louis XVI cède de nouveau : il renvoie les garnisons hors des murs de la capitale, puis rappelle Necker. Enfin, il se rend à l’Hôtel de Ville de Paris, où il arbore la cocarde tricolore. Ces trois couleurs sont celles du drapeau français actuel : il s’agit du rouge et du bleu, soit des couleurs de la ville de Paris, jointes au blanc, qui symbolise la monarchie. La ville de Paris étant le foyer des révolutionnaires6, un comité d’électeurs parisiens du tiers état se forme en Commune de Paris, avec comme maire l’astronome Bailly, président de l’Assemblée Nationale. La milice bourgeoise s’organise sous la houlette de La Fayette, ancien combattant de la guerre d’Indépendance américaine. La Fayette devient général, et la milice organisée prend le nom de Garde Nationale. Ce mouvement s’étend peu à peu et contamine d’autres villes françaises. On fonde des municipalités élues et on les dote d’une Garde Nationale. Entre l’affaiblissement du pouvoir royal et l’émergence du pouvoir des révolutionnaires, s’installe l’anarchie : on brûle les papiers féodaux, on pille les châteaux, de nombreux brigands ravagent le pays. C’est la période de la Grande peur.

3.3.1. La nuit du 4 août 1789

Les soulèvements, et les désordres qui les accompagnent, deviennent préoccupants. L’Assemblée Constituante tente de réagir. Des nobles montent à la tribune et proposent, théâtralement de sacrifier leurs privilèges. Dans l’enthousiasme général, on vote l’égalité des droits, l’abolition des corporations, des privilèges de naissance, la suppression des droits féodaux et de la vente des charges judiciaires. Mais lorsque les décrets paraissent, le peuple découvre que les redevances n’ont pas été supprimées, mais seulement déclarées «rachetables». Plusieurs riches bourgeois pourront d’ailleurs profiter de cette nouvelle situation et acheter des charges importantes. Le privilège de naissance fera donc place, petit à petit, au privilège de richesse.

Devant l’opposition du roi à ces réformes, les révolutionnaires finissent par envahir le palais de Versailles et ramènent le roi aux Tuileries. Le gouvernement et l’Assemblée rejoignent Louis XVI quelques jours plus tard. La situation de la couronne se détériore : le roi et l’Assemblée sont prisonniers à Paris et subissent l’influence directe des foules en colère et des révolutionnaires. De nombreux nobles inquiets pour leur vie quittent la France, dont le comte d’Artois, propre frère du roi et futur Charles X.

3.3.2. Les tendances de l’Assemblée Constituante

L’Assemblée Constituante voit naître les premiers partis politiques, car les trois ordres des États généraux se sont confondus, puis progressivement effacés. À droite, on trouve les Aristocrates (Noirs) partisans de l’Ancien Régime, tandis que les Monarchiens désirent un parlementarisme à l’anglaise. Au centre-gauche se trouvent les Patriotes ou Constitutionnels qui n’accordent que peu de pouvoir au roi ; parmi eux se trouvent La Fayette, Talleyrand, l’Abbé Sieyès, Barnave et Mirabeau. Enfin à l’extrême-gauche siègent les Démocrates qui réclament le suffrage universel ; il s’agit là de Robespierre, Pétion, l’Abbé Grégoire. La presse devenue libre fait descendre la politique dans la rue. En conséquence de la proclamation des nouvelles libertés, le peuple devient partie prenante de la chose publique : c’est l’éveil de la démocratie. La liberté de la presse entraîne la naissance de nombreux journaux, qui se développent rapidement : «Les révolutions de France et de Brabant» de Camille Desmoulin, ou encore «L’ami du peuple» de Marat. La liberté de réunion, ainsi que son complément nécessaire qu’est la liberté d’opinion engendrent la formation de clubs où l’on discute de politique (club des Feuillants pour les monarchiens, ou club des Jacobins pour la gauche).

Robespierre

Ces nouvelles perceptions politiques vont développer deux grands courants d’idée lors de la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : l’un aura plutôt les faveurs des couches populaires, et l’autre sera issu de la nouvelle structure politique. A gauche, on croit toujours à la possibilité d’une élévation rapide d’une sorte de conscience politique des masses. Les modérés, en revanche, sont plus pessimistes. Ceux-ci sont partagés entre les partisans d’une déclaration différée ou au moins étroitement liée au travail constitutionnel et les partisans d’une déclaration qui soit à la fois des droits et des devoirs du Citoyen7.

4. Les idées générales

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est destinée en grande partie à fixer par écrit les droits acquis lors de la nuit du 4 août 1789. C’est ce texte qui dessine à l’avance les points généraux qui seront abordés par la première Constitution française. Aujourd’hui encore, la Déclaration figure à l’entête de la Constitution de la Ve République.

Quelques traits généraux et caractéristiques de ce document seront analysés ici. La Déclaration marque tout d’abord la fin de la monarchie absolue en France : il s’agit d’un changement radical du système de gestion de l’État. Le pouvoir passe des mains de l’aristocratie aux mains du peuple. Cet effort pour une République sera décrit ici par la lutte contre l’Ancien Régime. La transformation des mœurs politiques, la libéralisation et les nouveaux droits des citoyens sont des nouveautés révolutionnaires dans l’Europe de l’époque. C’est l’amorce d’un changement d’attitude à l’égard du pouvoir de l’État : celui-ci sera désormais soumis au contrôle social. Cette participation de la société à la destinée de la France sera démontrée en analysant les bases d’une nouvelle société. Une des plus grandes victoires de la révolution française est d’avoir institué un des droits les plus fondamentaux de l’homme. Ce droit est l’égalité et fera l’objet d’une étude particulière. Enfin, la Déclaration a servi de base à l’élaboration de la Constitution française de l’époque. Cette Constitution a été le premier exemple européen d’accord entre le peuple et le pouvoir, c’est-à-dire entre les gouvernés et ses gouvernants. Cette révolution juridique, fruit de nombreuses idées de célèbres philosophes de l’époque, sera vue sous le point concernant le contrat social.

4.1. La lutte contre l’Ancien Régime

Afin de se prémunir contre le pouvoir monarchique, les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ont opposé à l’Ancien Régime une forme de catéchisme national8. En ce sens, aucun être humain ne peut posséder un droit divin de diriger la France. C’est à la Nation que doit revenir le pouvoir de gérer le pays, et non à un groupe restreint de privilégiés. Cette volonté de répartir le pouvoir va effacer toutes les distinctions faites sous l’Ancien Régime : il n’y aura plus que des citoyens, égaux en droit. Les citoyens ne seront plus soumis à l’arbitraire royal, mais ils disposeront de droit à faire valoir à l’encontre de l’État, pour sauvegarder leurs libertés. Ces droits sont une nouveauté à l’époque : ce sont les droits que l’on appelle aujourd’hui «droits fondamentaux». Ces droits fondamentaux sont directement issus des idées des philosophes jusnaturalistes, grands plaideurs des droits naturels et inviolables de l’Homme. Le contenu des ces droits n’est toutefois pas général et absolu, mais dépend bien plutôt d’une époque et d’un lieu déterminé. Le besoin d’un peuple de se faire reconnaître et défendre des droits est le point de départ de toute solidarité entre individus dans une collectivité politique. Le libéralisme a fondé un ordre juste de la vie en société dans la liberté la plus grande possible des individus, mais il a été, et est encore aujourd’hui, conditionné par la croyance en l’harmonie originelle des intérêts de tous les hommes9.

4.1.1. Les objectifs de la Déclaration

Les buts principaux de la Déclaration sont tous teintés de la lutte contre l’Ancien Régime. Jean MORANGE, Professeur de droit et de sciences économiques à Limoges, distingue une demi-douzaine de buts que poursuit la Déclaration10 :

  1. Il s’agit d’une proclamation solennelle des vérités simples, évidentes et incontestables. Nul ne pourra désormais réduire ces vérités à néant : elles sont écrites, donc impérissables.
  2. La Déclaration servira de base à la Constitution et sera à cet effet un guide pour les travaux de l’Assemblée.
  3. On réagit contre l’inconnu et l’incertitude de l’Ancien Régime en faisant prévaloir un principe de publicité : tous les Français doivent pouvoir lire et connaître leurs nouveaux droits. C’est une condition fondamentale de l’exercice des droits décrits dans la Déclaration. À cet effet, le texte doit être affiché dans toute la France. Ce principe engendrera celui du droit à savoir lire : ce sera le début de la scolarisation obligatoire et de l’unification de la langue française.
  4. On réagit contre les pratiques sournoises de l’Ancien Régime, caractérisées par les «lettres de cachet11». Le peuple doit connaître ses droits pour pouvoir se prémunir contre d’éventuelles atteintes de la part de l’État.
  5. Le préambule de la Déclaration précise que l’exposé des vérités qui suit, n’est pas destiné qu’au peuple français, mais bel et bien au monde entier. C’est la vocation universelle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen12. Cette vocation rompt singulièrement avec le «territorialisme» de l’Ancien Régime, où chaque seigneur était libre d’instaurer des droits et des obligations différents, selon son gré. Par ailleurs, ces différences de réglementations entraînaient, outre de nombreuses injustices, un échec singulier à toutes les transactions commerciales qui avaient lieu sur le plan national.
  6. Les principes de la Déclaration doivent former la base de toute espèce de société. C’est-à-dire que chaque article constitutionnel qui sera adopté, devra être la conséquence d’un principe exposé par la Déclaration.

Le contenu de ces buts est de deux natures distinctes13. Premièrement, on décrit des principes d’organisation politique. Ceux-ci doivent être entendus comme étant un changement radical du système de l’Ancien Régime. On prône une nouvelle philosophie de l’association politique d’une part, et on met en avant la participation des citoyens aux affaires le l’État d’autre part. C’est la souveraineté monarchique qui est remplacée par la souveraineté nationale. Pour assurer l’indépendance de l’État, on introduit l’idée de la séparation des pouvoirs, déjà prônée par les Américains en 1787. Deuxièmement, on accorde une large reconnaissance aux droits naturels de l’Homme14, que l’Ancien Régime bafouait fréquemment. On acceptera ces nouvelles libertés (art. 4 de la Déclaration), mais on admettra tout de même le fait de pouvoir les limiter dans certains cas dûment justifiés (art. 5 de la Déclaration).

4.1.2. Les changements apportés par la Déclaration

Nombreux sont les historiens qui critiquent la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen pour motif qu’elle a substitué l’anarchie à l’Ancien Régime. On lui reproche aussi ses formules trop abstraites, qui sont en fait la cause du manque d’expérience de ses rédacteurs pour ce qui est de la chose publique. Toutefois, il faut noter que c’est ce texte qui a fait naître, en grande partie, la notion de droit positif. C’est avant tout contre l’absolutisme imprévisible du pouvoir royal qu’on éprouvait le désir de réglementer de manière exhaustive, précise et surtout par écrit, la façon d’exercer la tâche publique. C’est le début de la notion de droits subjectifs et publics de l’individu vis-à-vis de l’État. Cette notion n’était jusqu’alors connue que du droit naturel. La Constitution de 1791 sera pionnière en la matière puisqu’elle fixera tout une série de droits naturels et civils garantis par son texte approuvé, contre tout abus de la part de l’État. Ces droits positifs sont le trait marquant du changement d’attitude à l’égard de l’Ancien Régime. Ce dernier était la source d’injustices et d’arbitraire, alors que le nouveau courant juridique apporté par la Déclaration prône l’égalité et la sécurité du droit. Ces nouvelles conceptions vont peu à peu s’étendre au reste de l’Europe. D’une part la toute jeune République française va mener une véritable «croisade» contre ses voisins européens, afin de «délivrer les citoyens de la tutelle absolutiste monarchique à laquelle ils sont soumis», et d’autre part, le contact des autres peuples européens avec les révolutionnaires français va leur amener un souffle nouveau de révolte contre l’Ancien Régime. Pour toutes ces raisons, l’histoire constitutionnelle fixe traditionnellement son origine à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 6 août 1789. C’est là le début du développement de l’État moderne, au sens où nous l’entendons aujourd’hui15.

4.2. Les bases d’une nouvelle société

4.2.1. La vocation universelle de la Déclaration

Contrairement à la Déclaration américaine, celle que nous voyons ici a un caractère beaucoup plus métaphysique. D’une part elle est l’œuvre de personnes qui n’ont pas l’expérience du débat public dans le cadre d’une assemblée, et d’autre part, elle remue de nombreuses théories philosophiques souvent complexes. La Déclaration ne se destine pas qu’au royaume de France, mais bien plutôt au monde entier : c’est un standard des droits minima exigibles en raison du simple fait d’être un homme. Cette dimension universelle de la Déclaration s’accorde avec de nombreux principes philosophiques, et avec le culte de «l’Être Suprême».

4.2.1.1. Les principes philosophiques

Jean-Jacques Rousseau était un de ceux qui pensaient qu’une nouvelle constitution aurait peut-être le pouvoir de régénérer la société, et de supprimer alors souffrance de l’homme. Cette idée a dominé tout le XVIIIe siècle. On opposait alors l’homme sauvage, bon de nature à l’idée chrétienne du péché originel. Pour Rousseau, le mal ne se trouvait pas en l’homme, mais dans la société16. En adoptant une nouvelle constitution, on construirait la trame d’un nouveau système d’organisation de la société. Il fallait donc élaborer cette structure de la manière la plus proche des droits naturels de l’homme, de façon à ne pas occulter son développement harmonieux.

4.2.1.2. Le culte de «l’Être Suprême»

Les auteurs de la Déclaration ont agi comme s’ils fondaient une nouvelle religion. Il s’agit d’une autre forme de cette vocation universelle, qui confère une grande force à la Déclaration. On peut parler ici d’une sorte de catéchisme philosophique. En plus de la dimension philosophique, ce nouveau culte représente un autre instrument de lutte contre le pouvoir monarchique de droit divin. La Déclaration fait quelques fois mention de «l’Être Suprême»17. L’Assemblée Nationale évite expressément de mentionner «Dieu», qui rappelle trop, à son sens, une notion catholique et conservatrice. En effet, Louis XVI, comme ses prédécesseurs, est monarque de droit divin : la religion catholique et la monarchie française sont savamment liées l’une à l’autre. La Déclaration instaure alors un nouveau culte, mais en fait, on vénère toujours le même Dieu.

Le Champ de Mars

La régénération de la société française est avant tout politique, et non religieuse, comme ce fut le cas sous la réforme. Mais l’instauration de ces libertés issues du droit naturel, sont d’une telle intensité que la portée politique de la Déclaration s’élargit jusqu’à en faire une sorte de nouveau dogme social à caractère religieux. L’Être Suprême n’est peut-être finalement qu’un Dieu épuré de tous les artifices que la Rome catholique a accumulés depuis sa lointaine fondation. On envisage ainsi un «Dieu de Nature» inspiré de la conception philosophique de l’époque.

4.2.2. La rupture de l’Ancien Régime

La régénération de la société passe par un incontournable changement de régime politique. Comment peut-on prévoir la réaction d’une société lorsqu’on lui supprime d’un coup tout ce qu’elle a l’habitude de côtoyer? Un tel bouleversement institutionnel est une chose difficile à maîtriser, c’est pourquoi on a parlé ici de «révolution». Cette rupture de la continuité de l’obéissance juridique entre une forme de pouvoir et une autre qui la chasse sera analysée plus tard par la philosophie du droit18. Pour HART, un tel changement de pouvoir ne peut se passer d’un interrègne durant lequel aucune règle de droit n’est susceptible d’être édictée. Ce même auteur associe l’application des règles de droit à une sorte d’habitude d’obéissance. C’est cette dernière qui sera rompue lors de la révolution française, par le biais de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ainsi c’est ce bouleversement qui va régénérer la société, mais ce sera aussi la cause de l’anarchie qui va suivre.

4.3. Le contrat social

Alors que Dieu était à l’origine de l’investiture des pouvoirs du roi, c’est désormais le peuple qui investira ses représentants pour assurer son gouvernement. Cette nouvelle conception du pouvoir des représentants choisis par leurs représentés est perçue à l’image d’un contrat de droit privé. Il s’agit d’une sorte de mandat que le peuple accorde à quelques mandants pour exécuter la tâche de gouverner pendant une certaine durée. Pour Paul JANET, cette idée part de la conception philosophique du contrat social selon les idées de Rousseau, et les droits particuliers ne sont que les clauses et les conditions dudit contrat19. Mais cette idée est controversée. En particulier, George JELLINEK pense que le contrat social de Roussau n’est pas la source de la Déclaration. Cet auteur observe que la Déclaration trace une ligne de démarcation éternelle entre l’État et l’individu que le législateur doit toujours avoir devant les yeux : il s’agit de la limite imposée par les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme. Par conséquent, la notion de contrat social de Rousseau est à l’opposé de cette idée. En effet, le contrat social de Rousseau ne découle pas du droit de l’individu, mais de la puissance de la volonté générale, qui, juridiquement, est sans limites20. Enfin selon JELLINEK, l’œuvre de Rousseau n’a exercé qu’une certaine influence de style sur la Déclaration, mais l’idée proprement dite a une autre provenance.

5. Les sources de la Déclaration

Les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen se sont inspirés en partie des principes américains. Mais la source originale de la Déclaration est contestée. A la fin du XVIIIe siècle, certains auteurs se sont affrontés sur le point de savoir si la France avait été ou non la patrie des droits de l’homme. BOUTMY pense que la Déclaration est purement française : elle serait issue de l’humanisme et de l’époque du siècle des lumières ; les Américains se seraient inspirés de l’œuvre des Français pour rédiger leur déclaration. JELLINEK conteste cette origine et voit la réforme allemande comme point de départ de l’influence de la Déclaration d’indépendance américaine. Celle-ci aurait alors influencé plus tard la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

JELLINEK précise toutefois que la Déclaration trouve d’une part une source française antérieure aux États généraux de 1789, et d’autre part une source américaine dans la déclaration de la Virginie, ainsi que dans celle d’autres États américains. Un document nous fourni un exemple qui prouve que la Déclaration s’était déjà exprimée en France à un moment antérieur à celui de la révolution : il s’agit du cahier du bailliage de Nemours. Celui-ci contient un chapitre intitulé «de la nécessité d’établir quels sont les droits de l’homme et des citoyens» suivi d’un projet d’une trentaine d’articles. Pour ce qui est de l’influence américaine, il faut savoir que la Déclaration fut proposée par La Fayette. Ce dernier s’était battu aux côtés des troupes françaises en Amérique lors de la guerre d’indépendance. Il avait ainsi pris comme source la déclaration de la Virginie et celles d’autres États particuliers de l’Amérique, qui avaient eu les premières constitutions écrites21.

La Fayette

On a finalement opté pour une opinion moyenne. On admet aujourd’hui que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen a de multiples sources. C’est le fruit d’une époque qui a connu toutes sortes d’événements tel le XVIIe et le XVIIIe siècle. Ces événements ont naturellement influencé la Déclaration.

6. Les différentes parties du texte

On peut distinguer quatre parties principales dans la Déclaration. Tout d’abord le préambule pose les fondements, les buts, les limites et la justification du texte. Suivent les articles 1 à 4 : ceux-ci concernent des préoccupations politiques et démocratiques. Ils énoncent les grands principes organiques nécessaires à la survie d’un ordre démocratique. Les articles 5 à 9 forment ensemble une sorte de petit code légal. C’est la loi qui est au centre des préoccupations de ce passage. La fin de la Déclaration, soit les articles 10 à 17, énonce toute une série de droits constitutionnels. Ces articles ont donné naissance au droit public moderne.

6.1. Le préambule

La première phrase assied la position de l’Assemblée Nationale comme étant représentante du peuple français. C’est cette représentation qui lui confère son caractère de souveraineté. On ne parle non plus d’États généraux, mais d’Assemblée Nationale pour bien marquer la nouvelle vocation des députés. Ceux-ci deviennent non seulement le nouveau législateur, mais encore le constituant. On ignore complètement le pouvoir royal, au profit des droits de la Nation, représentés par l’Assemblée Nationale.

Le préambule constate l’existence des droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme. Ces droits sont issus de la nature humaine, il faut donc les reconnaître et les protéger. Ces droits sont inaliénables car ils sont sacrés. On place ces droits au-dessus des obligations religieuses de l’Ancien Régime : c’est une forme d’anticléricalisme. Ces droits sont conférés par «l’Être Suprême», ils ont donc un rang supérieur au droit édicté par l’homme.

Les droits naturels ne sont toutefois pas illimités. Il s’agit aussi de fixer quels seront les devoirs des citoyens22. Les devoirs sont la conséquence des droits. Ils devront être fixés dans la constitution. On oppose ici l’Ancien Régime qui a marqué la France par ses contraintes politiques et religieuses, au siècle des lumières, de l’ouverture et des libertés.

Le préambule suppose l’existence d’une hiérarchie des normes. Le droit supérieur est formé par le droit naturel et le droit constitutionnel. En effet, les citoyens doivent pouvoir comparer en tout temps la compatibilité des institutions auxquelles ils sont soumis, avec les droits décrits par le droit supérieur. Cela entraîne une exigence de simplicité de rédaction de la constitution : elle doit pouvoir être comprise de tous.

Le but final de la Déclaration est le «bonheur de tous». C’est une notion de prospérité économique. On recherche un épanouissement heureux de la nouvelle société française.

6.2. Les articles 1er à 4 : l’ordre républicain

L’article 1er est directement issu de l’État de nature, il s’agit du principe de l’égalité. Les hommes naissent égaux, mais ils le demeurent aussi : c’est un droit inaliénable et imprescriptible23. Ce principe a une connotation politique car il marque clairement la fin de l’Ancien Régime, mais il représente aussi un principe général du droit. L’Égalité est le fer de lance de toute la Déclaration : elle se retrouve dans la plupart des idées philosophiques qui ont donné naissance à ce texte, soit la liberté politique, la séparation des pouvoirs, la liberté de commerce et d’industrie, l’abolition des privilèges, ainsi que de nombreux autres droits fondamentaux. Ce principe apparaît plus ou moins dans la plupart des articles suivants de la Déclaration : égalité devant la loi (art. 6), devant la justice (art. 7 à 9), devant l’impôt (art. 13).

Toutefois, des distinctions sociales peuvent être faites en fonction de «l’utilité commune». Ce n’est plus la naissance qui fait le rang social, mais la formation24. On conçoit qu’il est préférable de laisser le pouvoir entre les mains de personnes cultivées et formées à cet effet. C’est une conception qui va dans le sens des idées de Voltaire sur le «pouvoir éclairé».

Afin de bien fixer les nouvelles libertés du peuple français, l’article 2 en fait une énumération. Ces droits sont visés par le but de la Déclaration. Il s’agit de la liberté25, de la propriété (inspirée de l’idée des physiocrates)26, de la sûreté27et enfin, de la résistance à l’oppression. Cette dernière notion a aussi été utilisée par les révolutionnaires anglais de 1688. La résistance à l’oppression est le symbole d’une lutte contre la religion catholique et contre l’absolutisme royal qui en découle. En effet, pour ces deux cas, le pouvoir doit être suivi même s’il est mauvais, car il a une vocation absolue. La souveraineté sera désormais soumise au respect des droits de l’homme : les principes philosophiques sont transformés en principes juridiques. Aucun souverain ne peut altérer les droits fondés sur la nature.

L’article 3 énonce la primauté de la Nation ; elle est une collectivité indivisible et perpétuelle qui représente l’ultime origine de la souveraineté. Cet article pose un nouveau principe de droit public sur la désignation du titulaire de la souveraineté publique. C’est l’avènement de la démocratie et de l’ordre républicain. La conséquence de ce principe est qu’aucune personne28 ne peut exercer le pouvoir sans avoir été expressément mandatée par l’Assemblée Nationale.

L’article 4 tente de définir ce qu’est la liberté, puis quelle est sa limite. La liberté est ici issue d’une notion individualiste : son but n’est pas la société, mais l’homme. Celui-ci ne bénéficie toutefois pas d’une liberté absolue. Des limites sont posées dans l’intérêt public. Chaque homme dispose d’une certaine liberté, mais celle-ci ne doit pas empiéter sur la liberté d’autrui. Il s’agit d’une liberté assortie du respect d’autrui. Ce respect est assuré par le droit. C’est la loi qui fixe les limites de la liberté. Pour la première fois, la Déclaration parle de la «loi» : ce mot sera la clef des articles suivants.

6.3. Les articles 5 à 9 : la loi

Une limitation de la liberté individuelle n’est admissible qu’à condition d’être inscrite dans une base légale. Celle-ci est aujourd’hui une condition élémentaire de restriction des droits constitutionnels. Ce principe est énoncé par l’article 5. La règle générale reste donc la liberté, et l’exception est la limite de la liberté : la loi. La conséquence de cet article se trouve notamment à l’article 10, sur la liberté religieuse, et à l’article 11 sur la libre communication des idées : ces libertés sont toutes deux expressément limitées par la loi29.

L’article 5 a aussi une valeur importante pour le droit pénal, puisqu’il en réduit le champ d’incrimination aux actions nuisibles de la société. On entend ici mettre fin au roi-justicier : on fonde la présomption d’innocence et la légalité des incriminations des peines30.

L’article 6 définit la loi comme étant «l’expression de la volonté générale». Tous les citoyens ont le droit de participer au processus de l’élaboration législative. Ce sont les idées de Rousseau sur la démocratie directe qui ressortent dans ce début de l’article 6 ; mais la fin dudit article prône un pouvoir représentatif, selon les idées de Montesquieu. Cet article est donc une sorte de compromis entre plusieurs tendances philosophiques concernant la gestion du pouvoir. On accepte que la loi soit édictée par des représentants, mais ceux-ci ne doivent pas trahir la volonté générale des citoyens.

Cet article 6 énonce aussi l’égalité entre citoyens. On peut distinguer les hommes des citoyens en ce sens que le mot «hommes» comprend une signification philosophique, naturelle et biologique, alors que le mot «citoyens» ressort plutôt d’une notion juridique, politique et organique. Ces citoyens peuvent aussi être classés dans deux catégories distinctes : les citoyens actifs, qui paient des impôts31, qui seuls ont le droit de voter, et les citoyens passifs, qui n’ont pas de droits politiques. Ce système s’appelle le suffrage censitaire ; il est opposé au suffrage universel32, où le droit de vote est accordé sans devoir payer quoi que ce soit.

«La loi doit être la même pour tous» : c’est une conséquence du principe de l’égalité. Il s’agit d’unifier le droit sur le plan national. On veut lutter ici contre les coutumes féodales disparates qui morcellent inutilement le territoire et qui étouffent le commerce intérieur. On trouve plutôt du droit civil romain écrit dans le sud et du droit coutumier d’origine barbare dans le nord. Mais en plus de ces deux régimes juridiques fondamentalement différents, le droit n’était pas appliqué de la même manière d’un parlement à l’autre. Il n’existait aucune coordination des législations internes du Royaume de France : le régime juridique des personnes et des terres était géographiquement très inégalitaire. Cependant, le droit civil français ne sera unifié qu’en 180433, sous Napoléon Ier.

Les articles 7, 8 et 9 sont des dispositions ayant trait au droit pénal. Les articles 7 et 9 sont le fruit d’une vive réaction contre les lettres de cachet du roi34. Ce passage de la Déclaration prône le droit à la sûreté personnelle, déjà consacrée à l’article 2. L’article 7 concerne la légalité des incriminations, qui découle de la défense des libertés de l’article 4 ; l’article 8 érige le dogme fondamental de la légalité des peines ; enfin l’article 9 fonde la présomption d’innocence35.

L’article 7 énonce la notion de «sûreté juridique» : il faut comprendre cela au sens de la protection de la liberté physique de l’individu contre l’arbitraire des juges et du pouvoir exécutif. Toutefois, la dernière phrase de cet article hisse la loi au rang de souverain, à l’image de ce que représentait le pouvoir du roi : la désobéissance à la loi est considérée comme étant une désobéissance au souverain.

L’article 8 concerne l’utilité sociale, la légalité et la proportionnalité des peines. Cette disposition fonde aussi le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale. La Constitution de 1791 établira un code pénal issu des principes de la Déclaration : les peines seront inscrites et lieront presque totalement le juge. Ce code pénal sera rationnel, classera les peines en fonction des comportements, et sera doté d’une tarification très précise. Aujourd’hui, on considère l’individualisation de la peine en fonctions des qualités du délinquant. L’article 8 confère aussi au droit pénal le rôle de défendre la société : on ne doit donc réprimer que les comportements qui lui portent atteinte. Aussi la peine doit être proportionnée à l’infraction commise à l’encontre de la société : l’ancienne hiérarchie des répressions de l’Ancien Régime36 est ainsi réduite à néant.

L’article 9 fonde le principe de la présomption d’innocence. Désormais, on ne peut détenir quelqu’un sans le juger qu’à certaines conditions. La détention préventive ne doit plus être un châtiment anticipé et arbitraire, elle doit être fondée sur la loi. Cet article est considérablement inspiré du Bill de l’Habeas Corpus, connu en Angleterre.

6.4. Les articles 10 à 17 : les principes fondamentaux

Ces articles forment ensemble un petit code de droits constitutionnels. Ceux-ci ont été repris plus tard dans la plupart des constitutions européennes que nous connaissons aujourd’hui. La Déclaration énonce ici des principes nécessaires à l’épanouissement naturel de l’homme en société.

L’article 10 instaure deux droits fondamentaux complémentaires : la liberté d’opinion et la liberté religieuse. L’adoption de cet article a posé de nombreux problèmes à l’Assemblée Nationale, car il s’agissait cette fois de questions religieuses. Ce sont les protestants qui luttèrent le plus pour obtenir un droit reconnu qui leur permettrait d’exercer leur religion en France au même titre que les catholiques. Les protestants étaient considérablement lésés par les pratiques de l’Ancien Régime : par exemple, un couple marié protestant ne pouvait pas faire reconnaître ses enfants juridiquement ; ceux-ci ne pouvaient donc pas hériter de leurs parents. Les protestants étaient donc victimes d’injustices qui nous paraissent scandaleuses aujourd’hui, mais qui, à l’époque, étaient courantes dans les pays dits catholiques.

Cette liberté religieuse marque un net changement concernant le pouvoir de l’État sous l’Ancien Régime : il s’agit de la suppression des prérogatives spirituelles qu’incarnait le pouvoir royal. C’est la première fois que l’on dissocie l’Église et l’État : c’est la naissance de l’État laïc. A partir de ce moment, les droits civils et politiques ne dépendent plus de la religion. Ce nouvel aspect de l’État de droit apparaît ici avec un autre droit fondamental qui lui est intimement lié : la liberté de culte.

Tant la liberté d’opinion que la liberté religieuse se doivent de respecter l’ordre public. La loi est toujours placée au-dessus des libertés fondamentales. La liberté de croyance peut donc être réduite pour des motifs d’intérêt public si l’Assemblée Nationale l’estime nécessaire.

L’article 11 est le prolongement de l’article 10. Il prône la liberté d’opinion et la complète par la liberté de communiquer ses pensées : c’est ce que nous connaissons aujourd’hui sous l’appellation de liberté d’expression. Cet article s’élève en grande partie contre la censure pratiquée sous l’Ancien Régime où tout écrit devait passer sous la loupe de la «librairie»37 avant de pouvoir être publié. Toutefois, en cas d’abus, cette liberté de la presse peut être limitée par le législateur.

L’article 12 légitime l’existence d’une force publique. Ce n’est plus le roi qui dirige la police et l’armée, mais la Nation. Cette force armée est entre les mains de la Nation, elle ne peut donc en aucun cas se retourner contre les intérêts du peuple français. L’article 12 exclut que cette force soit instituée dans le but de satisfaire les particuliers qui sont à sa tête : on entend empêcher les membres de l’autorité d’avoir la possibilité de se servir de cette force pour leurs intérêts personnels ; on empêche éventuellement aussi le roi de rétablir son autorité. Cette force publique sera fondée par La Fayette peu après la Déclaration : il s’agit de la Garde Nationale.

L’article 13 aborde la question de l’impôt. Celui-ci est nécessaire pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses de l’administration. Aucune dépense sociale n’est prévue par la Déclaration : c’est la base de l’État policier. L’impôt doit être réparti entre tous les citoyens en raison de leur faculté. Cette charge publique correspond aux ressources disponibles du pays, partagées de manière équitable : c’est la naissance de l’égalité devant l’impôt. Les privilèges et autres inégalités fiscales disparaissent au profit d’un régime plus juste et mieux réparti sur le plan national. Le principe de l’impôt commun égalitaire se concrétisera de deux façons : d’une part par la contribution mobilière, et d’autre part par la contribution immobilière38 ; le tout devra figurer dans une déclaration d’impôts.

Les articles 13 et 14 fondent une véritable tradition financière républicaine. Le consentement à l’impôt devient une prérogative du propriétaire, mais aussi, il forme une sorte de rémunération des services qui lui sont rendus.

L’impôt, c’est le prix avec lequel vous possédez vos propriétés.

Mirabeau

La volonté de trouver une limite rationnelle au volume des prélèvements fiscaux instaure un nouveau principe de proportionnalité de l’impôt39 : c’est ce qu’instaure l’article 14. On reprend ici le droit public anglo-saxon. La notion de budget apparaît en France à cette époque, car jusqu’alors, les finances avaient de la peine à suivre les ambitions politiques du souverain.

Le consentement à l’impôt charge le peuple d’évaluer le montant et la forme des prélèvements fiscaux (quotité, assiette, recouvrement et durée). Aujourd’hui, cette tâche est le plus souvent confiée à l’exécutif : celui-ci propose un plan fiscal qui doit être approuvé par le pouvoir législatif.

L’article 15 a pour but de responsabiliser les représentants envers leurs représentés. Le roi, lui, n’avait de comptes à rendre qu’à Dieu. Cette volonté de transparence à laquelle les rédacteurs de la Déclaration soumettent l’Assemblée Nationale, rompt singulièrement avec les intrigues qui régnaient au sein de la Cour du roi.

L’article 16 énonce la première condition de toute démocratie, à savoir la garantie des droits et la séparation des pouvoirs. Il s’agit aussi d’un nouveau principe de droit public, inspiré des idées de Montesquieu. La séparation des pouvoirs dont il est question ici est plutôt une séparation des fonctions, non des pouvoirs ; en outre, on ne discerne pas encore très bien le pouvoir judiciaire du pouvoir exécutif : on sépare donc plutôt l’exécutif du législatif.

L’article 17 nous donne une nouvelle définition du droit de propriété. Cette notion de propriété est issue des idées philosophiques du siècle40 et diffère considérablement de celle de l’Ancien Régime où la propriété était le plus souvent combinée entre plusieurs personnes (propriétaires, tenanciers, domaine seigneurial ou ecclésiastique, etc.). Ce régime du double domaine était hérité de l’emphytéose du droit romain, et de nombreux usages d’origine barbare qui s’y étaient adaptés au fil du temps. Les rédacteurs de la Déclaration mettent un terme à ce régime et érigent la «propriété utile» des tenanciers en propriété au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Cette option anéantit la «propriété directe» des seigneurs féodaux. Les redevances des fermiers sont ainsi caduques, et ceux-ci peuvent enfin accéder à la propriété totale de leur terre. Toutefois, cette nouveauté est relativisée, car de nombreux bourgeois vivent de rentes qu’ils ont rachetées. On distingue alors la féodalité dominante de la féodalité contractante. La première est supprimée, et la seconde est maintenue. Ainsi les droits féodaux contractés à perpétuité sont contraires aux mœurs : on les déclare alors rachetables. On autorisera désormais des baux pour 99 ans au plus41.

Le droit de propriété de l’article 17 a un double caractère : d’une part c’est un droit inviolable et sacré42, et d’autre part c’est un droit naturel et imprescriptible43. Le terme «sacré» démontre des origines théologiques du droit de propriété. Comme celle-ci est sacrée, elle est inviolable : c’est une conséquence théologique, car le caractère sacré l’emporte sur le caractère juridique. La dépossession exige une nécessité publique légalement constatée et précédée d’une juste et préalable indemnité : il s’agit de la procédure d’expropriation. La propriété comme droit naturel et imprescriptible est issue de l’esprit philosophique du siècle sur l’État de nature. Cet État est celui où règne le droit du premier occupant44.

7. Conclusion

Bien que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’ait jamais eu de force obligatoire, elle influença considérablement le droit constitutionnel des pays européens. Aujourd’hui, elle figure encore à la tête de la Constitution de la Ve République française.

7.1. L’influence historique

Les révolutionnaires français étaient conscients d’apporter à leur pays une nouvelle conception de l’État. C’était l’application in concreto de principes philosophiques cogités depuis longtemps à l’ombre de la censure. Pour la première fois dans l’histoire européenne, un peuple s’affranchissait de la tutelle de sa noblesse et de son roi. Les français partisans de la République ressentirent le besoin de libérer le monde entier des monarques absolus : la philosophie du droit naturel avait une connotation universelle. Immédiatement après les événements de 1789, les français entrèrent en guerre contre presque tous leurs voisins. Les batailles de la Ière République furent soldées par de nombreux échecs, mais celles qui suivirent au début du XIXe siècle diffusèrent massivement les idées révolutionnaires à travers toute l’Europe. L’occupation française, la circulation des ouvrages philosophiques et les transactions commerciales internationales allumèrent le phénomène révolutionnaire sur le continent.

C’est une époque troublée pour toute l’Europe, mais c’est aussi la naissance de l’État de droit moderne que nous avons encore aujourd’hui. Très vite, tous les pays européens se dotent d’une constitution. Celle-ci contient d’une part des dispositions concernant l’organisation institutionnelle de l’État, et d’autre part des droits fondamentaux garantis que le citoyen peut faire valoir à l’encontre de l’État. C’est cette notion de République qui apparaît avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

7.2. L’influence en droit constitutionnel suisse

La Suisse de l’Ancien Régime n’était pas gouvernée par un monarque absolu de droit divin, mais par des familles patriciennes. Celles-ci étaient à la tête de multiples domaines qui formaient ensemble des États. Ces États étaient liés entre eux par de nombreux pactes et autres alliances militaires. Les représentants de ces cantons se réunissaient à la Diète. Cette institution était une sorte de réunion d’ambassadeurs des États de la Confédération. Le pouvoir central était très faible : les décisions qui n’étaient pas prises à l’unanimité de la Diète avaient peu de chance d’être appliquées. En outre, tous les États n’y étaient pas représentés : les «alliés» y participaient rarement, et les «sujets» (ou bailliages) n’avaient presque aucun droit à faire valoir45.

C’est en 1798 que la France envahit la Suisse et lui impose une nouvelle constitution, calquée sur celle du Directoire français. Cette période de la «République Helvétique» marque le début de l’application du droit constitutionnel en Suisse. Mais la question de l’organisation de l’État ne correspond manifestement pas à la configuration sociale de la Suisse, et de nombreux coups d’État font suite à des périodes de blocages gouvernementaux. Lors de la chute de l’Empire français en 1815, la Suisse est redéfinie sur le plan international par le Congrès de Vienne : elle devient un État neutre et indépendant, mais reprend le chemin de l’Ancien Régime (régime du Pacte fédéral).

En 1848, après la guerre du Sonderbund, la Suisse se dote à nouveau d’une constitution : il s’agit de la Constitution originaire de 1848. Cette date marque le début de la Confédération suisse au sens où nous l’entendons aujourd’hui. La Constitution de 1848 sera révisée en 1874, mais conservera la plupart des traits essentiels des droits fondamentaux de la Constitution originaire.

Aujourd’hui encore, on retrouve la plupart des droits de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans notre Constitution. Mais ces droits se sont développés petit à petit, et se sont précisés.

On peut distinguer les droits politiques des autres libertés constitutionnelles.

Les libertés politiques comportent le droit de vote et son corollaire le droit d’éligibilité, mais aussi le droit de référendum, le droit d’initiative et le droit de pétition. Ces droits trouvent une certaine origine dans l’article 6 de la Déclaration.

Les autres libertés constitutionnelles que l’individu peut faire valoir contre le pouvoir de l’État sont l’égalité devant la loi, la liberté d’établissement, la liberté de conscience, la liberté de presse, la liberté d’association et la liberté de commerce et d’industrie46.

Toutes ces libertés que l’on appelle aujourd’hui droits fondamentaux ou droits constitutionnels, sont plus ou moins issus de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Chacun de ces droits énoncés pour la première fois dans la Déclaration, a trouvé une place dans une disposition de chaque constitution européenne. Ces libertés ont ensuite évolué avec leur temps, au gré de la jurisprudence. Mais la substance de ces droits47 a toujours été conservée en tant que telle : il s’agit bel et bien de droit naturel.


Texte de la Déclaration

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

Article premier – Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2 – Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Article 3 – Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 4 – La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5 – La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Article 6 – La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ces yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Article 7 – Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant ; il se rend coupable par la résistance.

Article 8 – La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Article 9 – Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10 – Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Article 11 – La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Article 12 – La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.

Article 13 – Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 – Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15 – La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16 – Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

Article 17 – La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.


Bibliographie

Georges-André CHEVALLAZ, Histoire générale de 1789 à nos jours, 4e édition, Payot, Lausanne 1974.

Stéphane RIALS, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Hachette, Paris 1988.

Jörg Paul MULLER, Eléments pour une théorie suisse des droits fondamentaux, Stämpfli, Berne 1983.

Jean MORANGE, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1ère édition, P. U. F., coll. Que sais-je ?, Paris 1988.

George JELLINEK, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, éd. Albert Fontemoing, coll. Bibliothèque de l’Histoire du Droit et des Institutions, Paris 1902.

Herbert L. A. HART, Le Concept de Droit, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles 1976.

Paul A. R. JANET, Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, 3e édition, éd. F. Alcan, coll. Bibliothèque de philosophie contemporaine, Paris 1887.

Jean-Marie CARBASSE, Le droit pénal dans la Déclaration des Droits, 1ère édition, P. U. F., coll. DROIT revue française de théorie juridique, vol. 8 : La Déclaration de 1789, Paris 1988.

Jean-Jacques BIENVENU, Impôts et propriété dans l’esprit de la Déclaration, 1ère édition, P. U. F., coll. DROIT revue française de théorie juridique, vol. 8 : La Déclaration de 1789, Paris 1988.

Jean-François AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, Ides et Calendes, Neuchâtel 1967.

Georges-André CHEVALLAZ, Brève initiation à la vie civique, Payot, Lausanne 1966.


Jurisprudence

ATF 113 II 209 (en français)


Notes

1 Voir infra point 3.1 pour ce qui est des États généraux.

2 Voir supra point 2.1.2 in fine.

3 Il s’agissait de mandats d’arrestation en blanc que le roi signait et cachetait à l’avance. Ceux qui les détenaient n’avaient plus qu’à ajouter le nom de celui qu’ils estimaient coupable de délit ; ils pouvaient ainsi faire enfermer n’importe qui pour n’importe quelle raison, sans jugement, et avec la bénédiction royale.

4 Georges-André CHEVALLAZ, Histoire générale de 1789 à nos jours, 4e éd., Lausanne 1974, p. 21

5 Stéphane RIALS, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Paris 1988, p. 35 ss.

6 Le mouvement révolutionnaire n’était guère suivi dans la province.

7 Stéphane RIALS, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Paris 1988, p. 216.

8 Voir infra point 4.2.1.2 où il est question du «culte de l’Être Suprême».

9 Jörg Paul MÜLLER, Éléments pour une théorie suisse des droits fondamentaux, Berne 1983, p. 2 ss.

10 Jean MORANGE, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1ère éd., Paris 1988.

11 Voir supra point 3.1.2 in fine.

12 Voir infra point 4.2.1.

13 Jean MORANGE, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1ère éd., Paris 1988.

14 Voir le préambule de la Déclaration où il est écrit : «mettre fin au mépris des droits de l’homme».

15 George JELLINEK, La Déclaration des Droits de l’Homme de du Citoyen, Paris 1902, p. 1 ss.

16 «L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt».

17 Voir par exemple la dernière phrase du préambule.

18 Herbert L. A. HART, Le concept de droit, Bruxelles 1976, p. 72 ss.

19 Paul JANET, Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, 3e éd., Paris 1887, p. 457 s.

20 George JELLINEK, La Déclaration des Droits de l’Homme de du Citoyen, Paris 1902, p. 9 ss.

21 George JELLINEK, La Déclaration des Droits de l’Homme de du Citoyen, Paris 1902, p. 13 ss.

22 «La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres».

23 Ce droit n’a pas cette qualité en Amérique où l’esclavage demeure.

24 Cf. la «Parabole de St-Simon».

25 Cf. article 4.

26 Cf. article 17.

27 Cf. articles 7, 8 et 9.

28 La 2e phrase de l’article 3 sous-entend le pouvoir du roi (individu) et des corporations (corps).

29 Jean MORANGE, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1ère éd., Paris 1988.

30 Jean-Marie CARBASSE, Le droit pénal dans la Déclaration des Droits, DROIT revue française de théorie juridique, vol. 8, Paris 1988, p. 123 ss.

31 Notamment le «cens» d’où le nom de suffrage censitaire.

32 Le suffrage universel sera introduit en 1848.

33 Il s’agit du Code Napoléon de 1804.

34 Voir supra point 3.1.2 in fine.

35 Jean-Marie CARBASSE, Le droit pénal dans la Déclaration des Droits, DROIT revue française de théorie juridique, vol. 8, Paris 1988, p. 123 ss.

36 Par exemple pour ce qui est des infractions religieuses.

37 La librairie était l’office de l’administration royale chargé de la censure.

38  Par exemple le célèbre impôt sur les portes et fenêtres.

39 Jean-Jacques BIENVENU, Impôts et propriété dans l’esprit de la Déclaration, DROIT revue française de théorie juridique, vol. 8, Paris 1988, p. 135 ss.

40 Voir les philosophes anglo-saxons (Locke) et les partisans de l’individualisme.

41 Voir à ce sujet ATF 113 II 209 où deux communes vaudoises avaient conclu un contrat perpétuel.

42 Voir l’article 17 de la Déclaration.

43 Voir l’article 2 de la Déclaration.

44 Jean MORANGE, La Déclaration et le droit de propriété, DROITS revue française de théorie juridique, vol. 8, Paris 1988, p. 101 ss.

45 Jean-François AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, Neuchâtel 1967, p. 2 s.

46 Georges-André CHEVALLAZ, Brève initiation à la vie civique, Lausanne 1966, p.4 s.

47 Aussi appelée en Suisse «noyau intangible».