(du Ier siècle av. J.-C. au Ier siècle ap. J.-C.)
Mémoire d’histoire
Pascal Nicollier, Lausanne, 1991
L’Empire romain au temps d’Auguste (du Ier siècle av. J.-C. au Ier siècle ap. J.-C.) de Pascal NICOLLIER est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage à l’Identique 3.0 Suisse.
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Sommaire
- Table des matières
- Texte du mémoire
- Carte géographique
- Arbre généalogique
- Bibliographie
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Table des matières
1. L’HISTOIRE
1.1. Après l’assassinat de César
1.2. Le retour d’Octave
1.3. Le second Triumvirat
1.4. Le Pacte de Brindes
1.5. L’expédition contre les Parthes
1.6. Les modernisations entreprises par Octave
1.7. La fin du Triumvirat
1.8. La chute d’Antoine
1.9. L’instauration du Principat
1.10. La succession d’Auguste
2. L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE
2.1. Généralités
2.2. Les finances et les impôts
3. ROME, LA VILLE ET SA SOCIÉTÉ
4. L’ITALIE
5. LE MOUVEMENT INTELLECTUEL
6. L’ART ET LES SPECTACLES
Texte
1. L’histoire
Les institutions de la République n’étant plus adaptées à la situation guerrière de l’époque, des chefs militaires prennent une importance grandissante dans le gouvernement de la cité romaine.
Après Marius, Sulla et Pompée, c’est Jules César qui devient le maître absolu. Ce dernier, sans doute le plus grand et le plus connu des dirigeants romains, est mu par une ambition sans limite («je préfère être le premier dans un village, plutôt que le second à Rome !»). Rapidement, il progresse dans la hiérarchie romaine : en 60 av. J.-C., il forme une association politique avec le riche Crassus et l’illustre Pompée : c’est le premier «Triumvirat». L’année suivante, il est élu consul. Après ses conquêtes en Gaule (58 à 51) et notamment contre Vercingétorix, il déclenche une guerre civile à Rome. Pompée s’enfuit en Grèce, tandis que ses partisans sont mis en déroute et massacrés en Afrique et en Espagne. En 45 av. J.-C., la guerre civile s’éteint. Victorieux, César gouverne dès lors en souverain absolu. Élu dictateur, consul à vie et magistrat suprême, il procède à une réforme profonde des institutions. En un an, il transforme la République en Empire. Sans héritier pour lui succéder, il adopte son petit neveu Octave, le futur Auguste. Mais ses ennemis trament contre lui une conspiration dirigée par Brutus, son protégé, et par Cassius. Le 15 mars 44 av. J.-C., César est assassiné en plein Sénat, au pied de la statue de Pompée. Les assassins n’étaient animés que d’un seul désir : supprimer le «tyran» qui, depuis cinq années, empêchait le libre jeu des institutions républicaines.
Pourtant, le génie de César avait su jeter les fondations d’un ordre nouveau. Le dictateur n’était pas un aventurier isolé. Il laissait derrière lui un parti, des amis éprouvés, et déjà l’ébauche d’un idéal.
Ces événements marquent le début d’une nouvelle guerre civile : les pro-césariens contre les anti-césariens. C’est dans ce climat qu’Octave, futur Auguste, apparaît sur la scène politique et historique, c’est aussi le début du «siècle d’Auguste».
1.1. Après l’assassinat de César
C’est un groupe de républicains qui assassinent César. Le Sénat est en majorité favorable aux meurtriers, mais le Peuple et l’armée restent fidèles au souvenir du dictateur. Des deux consuls en exercice l’un, Antoine, était son plus fidèle lieutenant; l’autre, le jeune Dolabella, était prêt à se vendre au plus offrant. Cependant, Antoine ne se posa pas tout de suite en champion du disparu. Lors de la première séance du Sénat après l’assassinat, le 17 mars 44 av. J.-C., il adopta une attitude modérée concernant les honneurs attribués aux meurtriers de César, mais il ne demanda pas leur condamnation et se contenta de faire valider, en bloc, tous les actes de César.
Antoine avait pour allié politique Lépide, maître de la cavalerie du dictateur défunt et homme très écouté par la Plèbe romaine. Dans les villes italiennes, les vétérans de César, qui constituaient une force latente, prête à suivre les mots d’ordre césariens, tournaient les yeux vers Antoine. Ce dernier s’efforça de maintenir la paix et de laisser aux passions le temps de se calmer. Les colères populaires étaient, en général, peu durables, et l’on en serait venu progressivement à un compromis si, brusquement, Octave n’était entré en scène.
Octave, petit neveu de César par les femmes, et son fils adoptif apprit la nouvelle de l’assassinat en Epire, à Appollonia, où il avait été chargé par son père adoptif de préparer l’expédition projetée contre les Parthes. Il n’était encore que dans sa dix-huitième année et poursuivait à la fois sa formation militaire et sa culture intellectuelle. Dès qu’il connut les événements de Rome, Octave se hâta de retourner en Italie. Le testament de César le désignait comme héritier.
1.2. Le retour d’Octave
L’arrivée d’Octave à Rome ranima l’agitation religieuse autour du dictateur assassiné qu’Antoine s’efforçait de contenir. L’héritier entendait visiblement exploiter le culte naissant du dieu César. Passant outre à l’opposition d’Antoine, Octave célébra les jeux de la victoire de César (institués deux ans plus tôt par le défunt) et, au soir, une comète apparut dans le ciel. Personne ne douta que ce prodige ne fût envoyé par les dieux afin de prouver la divinité du mort. Octave pouvait alors utiliser à ses propres fins les croyances populaires. Il faut ajouter, à ce sujet, qu’il y avait de nombreuses anecdotes relatives aux superstitions d’Octave, et l’on a eu maintes preuves de sa piété et de son respect pour les dieux.
Secrètement, les plus ardents parmi les césariens commençaient à douter d’Antoine. Celui-ci le sentit. Il décida alors de se rapprocher officiellement d’Octave, en une réconciliation ostensible, et obtint l’éloignement des principaux conjurés des Ides et de mars, Brutus et Cassius qui, dès lors, devraient gouverner les provinces lointaines de Crête et de Grèce. Puis, les semaines passantes, il s’aperçut que le temps de son propre consulat allait bientôt être écoulé. Afin de maintenir son autorité, il décida d’assurer un commandement militaire en Gaule cisalpine (Italie du Nord). Pour cela, il dut en chasser Décimus Brutus avec des légions qu’il avait réunies en Italie du Sud. Pendant ce temps, Octave ayant lui-même levé des troupes parmi les vétérans de son père, marcha sur Rome, où il entra le 10 novembre. Ce fut une erreur : Octave avait espéré un soulèvement général des césariens, et ce fut ses propres soldats qui refusèrent de combattre ceux d’Antoine. Octave dut s’enfuir vers le Nord (à Arretium, Arezzo, en Etrurie).
Antoine semblait sortir victorieux de cette première offensive jusqu’à ce que ses soldats firent défection à leur tour. Deux légions se déclarèrent pour Octave, «fils de Dieu» : le consul dut alors se contenter de marcher sur la Gaule Cisalpine, au lieu d’écraser son rival. C’est alors que Cicéron, le vieux consulaire, sortit de son silence pour défendre Octave et obtint que le Sénat reconnaisse la «légalité» des années d’Octave.
On apprit que les deux principaux instigateurs du complot contre César, M. Julius Brutus et C. Cassius Longinus, au lieu de rejoindre la Crête et la Cyrène, s’étaient emparés de toutes les ressources, en hommes et en argent, des territoires orientaux. Au Sénat, les républicains exultèrent. Les troupes du Sénat, afin d’écraser définitivement le césarisme, repoussèrent Antoine du siège de Modène jusqu’à la Narbonnaise. Octave se trouva alors dans une situation très précaire. A Rome, Cicéron se vantait ouvertement d’avoir employé Octave comme un objet que l’on jette dès qu’il a cessé d’être utile. Cicéron briguait le Consulat pour lui-même. Pendant ce temps Antoine, ayant rejoint Lépide, commençait à former un bloc solide dans les provinces occidentales. Octave semblait être définitivement allié au Sénat contre Antoine. Une seconde fois, Octave marcha sur Rome, et revendiqua le Consulat. Cette fois-ci, c’est la victoire qui fut au rendez-vous : les trois légions du Sénat passèrent sans combat de son côté. Le Peuple romain porta unanimement l’héritier du dieu César au Consulat (en lui donnant comme collègue Q. Pedius, un homme sans ambition). Dès cet instant, Octave semblait incarner la légalité.
1.3. Le second Triumvirat
Le premier acte du nouveau consul fut de faire condamner par un tribunal régulier les meurtriers de son père.
Il partit ensuite vers le Nord, pour une entrevue avec Antoine. C’est avec lui qu’il forma le second Triumvirat, constitué d’Antoine, Lépide et lui-même (le premier était formé de César, Pompée et Crassus). Ces triumvirs se donnèrent comme mission de restaurer l’État et de lui assurer une constitution viable. L’opposition républicaine ayant causé bon nombre de tumultes auprès des triumvirs, ces derniers tentèrent de rendre sa renaissance impossible à l’avenir.
Puis vinrent les proscriptions : cent trente sénateurs furent mis à mort, un grand nombre de chevaliers eurent le même sort (tous ne périrent pas, mais les survivants durent se terrer). Cicéron lui-même en fut une victime. La fraction républicaine fut effacée.
Au 1er janvier 42 av. J.-C., la divinité de César, depuis longtemps reconnue par le Peuple, fut officiellement proclamée. On construisit un temple sur le Forum romain où avait été brûlé le cadavre du dictateur. Par la volonté des césariens de venger leur maître défunt, la guerre civile éclata à nouveau entre républicains (provinces orientales) et césariens, maîtres de l’Italie et de tout l’Occident.
La bataille s’engagea à Philippes, où les césariens menèrent le combat. Cassius puis Brutus se suicidèrent («Vertu, tu n’es qu’un mot.»). Pour Brutus, Octave représentait le vengeur impitoyable de César. Aussi murmura-t-on que la victoire fut attribuée à Octave alors que ce fut Antoine le vain méritant…
Lépide resté en Italie, on ne tiendrait désormais plus grand compte de celui qui était absent à l’heure décisive du Triumvirat. Antoine était parti pour l’Orient et Octave fut chargé de gouverner l’Italie. Antoine reçut à Tarse la reine Cléopâtre, convoquée auprès de lui comme princesse vassale. Oubliant sa femme, Fulvie, demeurée en Italie, Antoine suivit Cléopâtre à Alexandrie et passa auprès d’elle l’hiver de 41 à 40.
Cependant, en Occident, Octave se consacrait à des tâches nécessaires mais ingrates : il lui appartenait de récompenser les soldats des vingt-huit légions qui avaient combattu à Philippes et de leur attribuer des terres en Italie. Dix-huit cités italiennes se partagèrent pour les vétérans. De partout montaient les plaintes. Octave dut permettre des atténuations. Ces drames sont racontés par Virgile qui, avant la bataille de Philippes, avait chanté l’apothéose de César. C’est là qu’il eut sans doute perdu sa propriété familiale de Mantoue.
Sextus Pompée, le fils du vaincu de Pharsale, était maître de la mer et entravait le ravitaillement de la péninsule. Les villes d’Italie centrale, dont l’aristocratie et la bourgeoisie avaient été durement touchées par les proscriptions et les confiscations, redoutaient la révolution sociale que les triumvirs étaient en train d’accomplir à leurs dépens. L. Antonius, le frère du triumvir, exerçait alors le Consulat. Il était secrètement hostile à Octave et désirait s’en débarrasser. Il souleva les provinciaux et se retrancha dans Pérouse. Si les légions de Cisalpine se joignaient à lui, c’en était fini d’Octave. Mais une nouvelle fois, celui-ci réussit à se tirer de ce mauvais pas. Aidé par le génie militaire d’Agrippa, il déjoua le plan du consul, mena vigoureusement le siège de Pérouse, qu’il prit et pilla au début de l’année 40. Octave était de nouveau le maître de l’Italie.
1.4. Le Pacte de Brindes
Octave devait sans doute le succès du siège de Pérouse à son habileté de diplomate, à son esprit de décision, mais peut-être aussi à la répugnance de plus en plus manifeste dont témoignaient les troupes à rallumer la guerre civile. Les vétérans, bien pourvus, n’aspiraient plus qu’à la paix. A la fin de l’été 40, Antoine, averti de la situation, voulut pénétrer en Italie à la tête d’une armée. Mais les habitants de Brindes (Brindisi) lui interdirent l’accès du port et l’accès dans leur ville, avant tout par lassitude de la guerre. C’est dans ces conditions que s’ouvrirent des négociations entre Mécène et Pollion, le premier représentant Octave, le second Antoine. En début d’octobre 40, une paix fut conclue entre les deux parties.
La première femme d’Antoine, Fulvie, étant décédée, Antoine épousa Octavie, la soeur d’Octave. Cette union devait permettre à Antoine le recrutement de légions sur le sol italien et tous deux se partageraient le monde. Antoine aurait les mains libres en Orient, Octave en Occident. Une rivière d’Albanie, le Drin, formerait la frontière séparant leurs zones d’influence. Quant à Lépide, il obtenait l’Afrique. En Italie, le Pacte de Brindes apparut comme le début d’une ère de paix après 109 années de tumultes. Mais cet heureux événement ne suffit pas à résoudre, comme par miracle, les difficultés dans lesquelles se débattait le monde. Le fils de Pompée, Sextus, demeuré en «dissidence» depuis la victoire de César, était maître de la mer et continuait d’affamer l’Italie, si bien qu’au mois de novembre, la Plèbe romaine se montra menaçante.
Octave dut alors reprendre la lutte pour la liberté des mers. L’affaire fut mal conduite et aboutit à un désastre pour Octave. Antoine fut appelé à l’aide. Il se rendit à Tarente, au printemps 37, où eurent lieu des négociations difficiles. On y décida que le Triumvirat serait prolongé jusqu’en 33, soit cinq années pleines, et qu’Antoine céderait à son collègue cent vingt vaisseaux. Puis il repartit pour l’Orient terminer les préparatifs de son expédition contre les Parthes qu’avait interrompu l’appel d’Octave.
C’est alors qu’Octave décida d’en finir une bonne fois avec Sextus Pompée. Agrippa entraîna sévèrement les équipages et fit creuser un port dans le lac Lucrin, sur la côte napolitaine, à l’abri des incursions ennemies. Puis, au mois de juillet 36, les forces d’Octave envahirent la Sicile, le principal point d’appui de Pompée. Ce dernier s’enfuit en Orient et bientôt y périt. Octave possédait dès lors la maîtrise des mers. Les blés de Sicile et d’Afrique recommencèrent à affluer dans la capitale.
1.5. L’expédition contre les Parthes
Lépide, qui avait un instant tenté de s’opposer à l’action d’Octave, fut dépouillé de son pouvoir triumviral et placé en résidence surveillée à Circeri, aux limites du Latium. Mais Octave, respectueux du droit religieux, ne lui retira pas son titre de Grand Pontife qui était conféré à vie. Lentement, la balance des forces qui, au temps de la paix de Brindes, semblait pencher en faveur d’Antoine, se rétablissait au bénéfice d’Octave. Antoine voyait décroître son autorité à mesure que se prolongeait son éloignement. C’est en Italie et à Rome que résidait la source de toute autorité. L’opinion populaire, aussi bien celle de la Plèbe urbaine que celle de la bourgeoisie des municipes, demeurait un facteur important. Antoine allait payer chèrement le fait d’avoir recueilli cette partie de l’héritage césarien, que, jusqu’au bout de son règne, Auguste refusa : il s’agissait de l’expédition contre les Parthes. Cette entreprise qu’il mena au printemps 36 aboutit à un échec. Il fallut faire retraite à cause du soulèvement arménien qui menaçait les lignes de communication de l’armée d’Antoine. La marche triomphale tant attendue se terminait en défaite. Antoine eut beau, l’année suivante, réduire l’Arménie en province, il n’était plus question d’envahir l’Empire Parthe.
Faible consolation de savoir qu’Antoine entretenait des relations cordiales avec le roi des Mèdes, au point de fiancer son propre fils (Alexandre Helios) qu’il avait eu de Cléopâtre, à la fille de celui-ci. Sans doute les frontières orientales de l’Empire se trouvaient de la sorte, garanties. Mais les succès diplomatiques n’ont pas l’éclat des victoires. Il fut facile à une propagande malveillante de prétendre qu’Antoine s’abandonnait aux délices de l’Orient, agissait en roi et oubliait qu’il était romain. Chez Octave, le succès était limité, mais étant obtenu aux portes mêmes de l’Italie, il récoltait cette gloire qui échappait à Antoine.
1.6. Les modernisations entreprises par Octave
Après les proscriptions, Octave créa une bourgeoisie nouvelle sur laquelle il put appuyer sa popularité de façon durable. Pour asseoir une autorité véritable, les acclamations inconstantes de la Plèbe urbaine de Rome ne suffisaient pas. Les fréquentes émeutes avaient prouvé le danger qu’il y avait à compter exclusivement sur le petit peuple de Rome. Il fallait à tout prix élargir les bases du régime nouveau et, comme les survivants des grandes familles sénatoriales boudaient obstinément Octave, c’est vers la bourgeoisie des petites villes italiennes que se tourna celui-ci.
Sur la disparition progressive des oligarchies municipales des grands seigneurs s’élevait une classe moyenne dont les domaines étaient sans doute plus modestes. C’est cette classe que vinrent grossir les vétérans de Philippes, et, plus tard, lorsque Octave eut à récompenser de nouveaux soldats, il s’abstint sagement de procéder à de nouvelles confiscations en Italie, allant chercher dans les autres provinces de quoi les satisfaire.
Octave tentait de s’allier largement toute l’Italie provinciale qui se sentait inférieure à la Plèbe de Rome. Grâce aux géorgiques, il parvint à éteindre ce sentiment de faiblesse. Cependant, il n’oubliait pas non-plus de maintenir sa popularité dans la capitale. Dans l’héritage de César figurait un vaste programme de travaux publics. Il fallait «moderniser» Rome et la doter de monuments publiques comparables à ceux des grandes capitales hellénistiques.
En 46 av. J.-C., César avait dédié un nouveau forum situé au pied du Capitole où se réunissaient les hommes d’affaires, notamment les changeurs et les banquiers. César avait également projeté d’élever un théâtre, au sud du Capitole, sur un emplacement symétrique de son forum. Octave termina celui-ci mais différa la construction du théâtre. Une fois qu’il avait assuré la paix intérieure, il chargea son compagnon Agrippa d’exécuter toute une série de travaux publics d’autant plus urgents que les guerres civiles avaient ralenti, sinon même paralysé, toute activité de cet ordre.
En 33 Agrippa, bien que déjà consul, accepta de devenir édile (magistrature de rang inférieur au Consulat) et se mis en devoir de réparer la Cloaca Maxima ainsi que tout le réseau des égouts urbains. Agrippa entreprit également une totale réorganisation des adductions. Il inventa un système nouveau de mesure et réglementa la distribution d’eau. Cette dernière arrivait principalement dans des fontaines publiques où elle était à la disposition de chacun.
Pendant la même période, Octave procéda à des restaurations devenues urgentes : la Villa Publica, au Champ-de-Mars, le Théâtre de Pompée ainsi que l’une des grandes basiliques du vieux Forum romain, la Basilique Emilienne.
Octave promit solennellement à Appollon de lui élever un temple magnifique sur le Palatin. Jusque-là, ce dieu, qui conservait son caractère hellénique, n’avait pas été admis à l’intérieur du Pomerium, l’enceinte sacrée de la ville. Il devait, comme toutes les divinités étrangères, se contenter de sanctuaires situés en-dehors de cette enceinte vénérable. Octave, en l’introduisant au cœur même de la ville, sur la colline où, disait-on, Romulus avec pris les premiers auspices du moment de la fondation, se permettait une innovation qui confinait au scandale. Mais Apollon était «son» dieu. Il circulait dans Rome une histoire merveilleuse : on assurait qu’Atia s’était un jour unie au dieu, dans son Temple du Champ-de-Mars, et qu’Octave était né de cette étreinte. Ce dernier ne faisait rien pour dissiper cette légende.
1.7. La fin du Triumvirat
Avec l’année 33 se terminait le Triumvirat et, en théorie, le pouvoir revenait aux magistrats ordinaires. Les deux consuls, depuis longtemps désignés, étaient partisans d’Antoine. L’un d’eux, Sosius, lors de la première séance du Sénat, se livra à de violentes invectives contre Octave. Ce dernier, pour toute réponse, à quelques jours de là, pénétra dans la salle des séances avec une escorte armée, imposa le silence aux consuls, défendit sa propre politique et attaqua Antoine. C’était un nouveau coup d’État, proche d’une déclaration de guerre. Les consuls quittèrent Rome, accompagnés par plus de trois cents sénateurs et se rendirent auprès d’Antoine. Octave se contenta de désigner deux autres consuls, qui lui étaient dévoués. Il avait, par sa volonté, mis fin au régime du Triumvirat. Il ne lui restait plus qu’à demander aux armes la décision contre Antoine. A ce moment, celui-ci se trouvant à Ephèse où l’avait suivi Cléopâtre. Il était entouré d’une brillante cohorte où figuraient tous les grands noms de Rome. A ses propres partisans s’ajoutaient les républicains convaincus qui avaient fui Octave. Mais cette coalition manquait d’unité.
La présence de Cléopâtre indisposait bon nombre de partisans d’Antoine. S’il s’était borné à revendiquer la place qui lui appartenait dans l’État romain en vertu des conventions antérieures, nul n’aurait songé à lui contester le droit de venger son honneur. Mais voici qu’il prenait figure de renégat. Octave ne manqua pas d’insister sur ce fait. Ayant appris que son rival avait déposé son testament entre les mains de Vestales, il en obtint connaissance et s’aperçut qu’Antoine, non content d’instituer des legs en faveur des enfants qu’il avait eus de la reine, désirait être enterré à sa mort à Alexandrie. Ces dispositions furent rendues publiques et l’on y ajouta des rumeurs terrifiantes : Antoine n’était plus qu’un instrument aux mains de Cléopâtre; il allait marcher sur Rome et installer celle-ci au Capitole. La capitale de l’Empire serait transférée à Alexandrie. Italiens et Romains deviendraient les esclaves de ceux qui, jusque-là, avaient été leurs sujets. Tout cela, sans doute, était à peine croyable. Mais l’imprudence d’Antoine donnait prise aux pires calomnies. Les intentions réelles d’Antoine ne furent toutefois jamais connues.
1.8. La chute d’Antoine
À la fin de l’année 32 av. J.-C., la guerre était officiellement déclarée à Cléopâtre. D’Antoine, il n’était pas question. Ce n’était pas une nouvelle guerre civile qui commençait, mais ostensiblement la croisade de la liberté et de la civilisation contre la barbarie et l’esclavage. Pour les Romains, l’héritier de César n’était plus un maître cherchant à assurer sa domination sur le monde, mais le champion envoyé par les dieux pour sauver Rome et l’Empire. L’hiver se passa en préparatifs militaires.
Antoine avait fixé son quartier général à Patras, sur le golfe de Corinthe. Ses forces terrestres et, surtout, maritimes étaient plus nombreuses que celles de son adversaire mais comprenaient, comme autrefois celles de Pompée, des éléments disparates. Les troupes d’Octave étaient solides et bien entraînées. Les équipages, en particuliers, avaient fait leurs preuves dans la lutte contre Sextus Pompée. Un à un, les nobles romains accompagnant Antoine passèrent à l’ennemi. Peut-être la propagande d’Octave explique-t-elle leur désertion; peut-être se rendaient-ils compte peu à peu que leur avantage se trouvait dans l’autre camp; peut-être aussi comprenaient-ils qu’une victoire d’Antoine n’était en aucune façon souhaitable pour l’avenir du monde et risquait de compromettre à jamais le vieil idéal romain de liberté et de civisme. La bataille décisive eut lieu sur mer le 2 septembre 31 (bataille d’Actium). Il semble qu’une bonne partie de la flotte d’Antoine n’ait pas été engagée, soit par maladresse, soit par trahison, soit par répugnance à combattre. A la fin de cette journée, Antoine réussit à s’enfuir avec quarante vaisseaux. Cléopâtre avait déjà fait voile sur l’Égypte et Antoine l’y suivit. Peu de jours après, ses légions capitulaient. Il fallut moins d’une année pour régler le sort des provinces orientales. Les gouverneurs dévoués à Antoine furent chassés ou firent leur soumission. Les rois vassaux qu’il avait installés furent maintenus sur leur trône. Pendant l’été de l’année suivante, Octave brisa les dernières tentatives d’Antoine pour résister en Égypte et, le 1er août 30, il entra à Alexandrie. Antoine se donna la mort. Cléopâtre, menacée par Octave de figurer dans son cortège triomphal à Rome, se fit volontairement piquer par un aspic. Pour la première fois, le monde méditerranéen, y compris l’Égypte, se trouvait tout entier uni à l’intérieur de l’Empire.
Octave est désormais le maître du monde méditerranéen, dont les régions les plus riches et les plus civilisées, la Grèce et l’Italie en particulier, ont été ravagées et ruinées par vingt-huit années de guerre presque ininterrompue.
1.9. L’instauration du Principat
De 30 à 27, Octave prépara l’organisation définitive de son régime par une remise en ordre générale. Le Triumvirat avait expiré le 1er janvier 32; le pouvoir d’Octave reposait officiellement sur le consulat qu’il avait repris le 1er janvier 30 et qu’il conserva sans interruption jusqu’en 23, mais en fait sur commandement extraordinaire qui lui avait été confié au moment de la déclaration de guerre à Antoine, et sanctionné par un serment de fidélité personnelle prêté par tous les Italiens et par les provinces de l’Occident.
Octave substitua à la République un nouveau régime appelé communément «Empire» mais comprenant en réalité un mélange savant d’institutions républicaines et monarchiques. C’est la raison pour laquelle il convient mieux d’appeler cette nouvelle période politique romaine par le «Principat». Ce régime constituait non une monarchie, mais bien plutôt une sorte de «dynarchie» : d’une part le Sénat et le Peuple romain, comme au temps de la République et de l’autre, le prince et sa maison, exerçant une fonction de régulation et de contrôle. Ces deux éléments constitutifs du pouvoir coexistèrent jusqu’au IIIème siècle ap. J.-C. dans un équilibre toujours menacé mais toujours préservé.
En 28 av. J.-C., Octave reçut le titre de princeps senatus, titre assez vague qui faisait de lui le premier des sénateurs et offrait l’avantage de camoufler sous des dehors modestes la réalité de son autorité.
Octave conféra au Sénat le gouvernement général de la plupart des provinces frontières, impliquant le commandement de toutes les forces militaires qui y étaient stationnées. En remerciement de la «restauration de la République», Octave reçut le nom d’Auguste et divers honneurs. Le temple d’Apollon Actien lui fut dédié sur le Palatin. Le mois «sextilis» fut également débaptisé et prit le nom d’«augustus», tout comme «quinctilis» s’était transformé en «Julius» en l’honneur de Jules César.
Pendant mon sixième et mon septième consulat, après avoir éteint les guerres civiles, maître souverain et universel du consentement de tous, je fis passer l’État de mon pouvoir au gouvernement du Sénat et du Peuple romain. Pour ces services, le Sénat m’accorda le titre d’Auguste, l’entrée de ma maison fut revêtue de lauriers, et une couronne civique fut fixée sur ma porte. On plaça dans la Curie julienne un bouclier d’or; l’inscription proclamait qu’il m’avait été offert par le Sénat et le Peuple romain, à cause de ma vertu, de ma clémence, de ma justice et de ma piété. De ce jour, je l’emportai surtout en autorité, mais n’eus absolument pas plus de pouvoir que les autres magistrats, mes collègues.
Dans ces phrases, Auguste, au terme d’une carrière de plus de cinquante ans, définit son œuvre politique. Il est l’auteur de la révolution la plus profonde qu’ait connue le monde antique après Alexandre, mais cette révolution n’a réussi que parce qu’elle semblait une restauration.
Octave avait rendu au Sénat la gestion de toutes les provinces sauf trois : l’Espagne, la Gaule et la Syrie, qu’il se réserva. Ces trois provinces étaient celles où des opérations militaires étaient en cours. L’Espagne, insuffisamment pacifiée, s’était trouvée pendant les années précédentes le théâtre de nombreux soulèvements. Il en allait de même pour la Gaule, où l’on pouvait, en outre, avoir à faire face à des incursions barbares sur la frontière du Rhin. La Syrie, enfin, était perpétuellement menacée d’une invasion des Parthes.
Auguste avait donc également un commandement militaire et la disposition des légions afin d’assurer la sécurité de ses territoires. Au temps de la République, les provinces étaient administrées par des gouverneurs, anciens consuls ou anciens préteurs, investis d’une autorité souveraine, à la fois civile et militaire, appelée «Imperium proconsulare». Auguste repris ce titre pour lui-même, ce qui lui assurait dorénavant le commandement militaire et la disposition des légions dans les territoires de Gaule, d’Espagne et de Syrie.
De 27 à 23, l’autorité d’Auguste reposa légalement sur la réunion en sa personne du Consulat et de l’Imperium proconsulaire. Il était ainsi le maître de la plus grande partie de l’armée, en tant que «proconsul» et, comme consul, il dirigeait la politique étrangère et l’administration intérieure de l’État, selon les avis du Sénat (qu’il appartenait à son initiative de convoquer). Comme consul encore, il avait autorité sur les autres magistrats et pouvait évoquer à son propre tribunal toutes les affaires qu’il voulait. Tels étaient les pouvoirs «légaux» d’Auguste à partir de janvier 27.
La «constitution» elle-même n’avait pas été transformée. Consulat et Proconsulat demeuraient juridiquement ce qu’ils avaient toujours été. Ce qui était nouveau, ce n’était pas qu’un seul homme rassemblât en sa main des pouvoirs qui, habituellement, appartenaient à des personnages différents – car cette concentration n’avait pas été sans exemples dans le passé. Il n’y avait rien de choquant à ce qu’un consul en exercice fût en même temps gouverneur de province, dût-il se faire représenter dans celle-ci par un lieutenant (legatus) – l’innovation (et l’anomalie) ne commençait qu’avec la durée de ces pouvoirs et, surtout, celle de ce consulat sans cesse renouvelé. Au temps de la République, les proconsulats n’étaient pas annuels mais attribués pour des périodes variables. Le jour où Auguste déciderait de renoncer au Consulat, la constitution républicaine se trouverait du même coup rétablie.
Dans les actes officiels, le système inauguré en 27 est volontiers désigné sous le nom de «Res publica reddita», ou «Res publica restituta», ce qui signifie que le pouvoir avait été «rendu» à ses légitimes possesseurs : le Sénat et le Peuple de Rome. Les instruments du pouvoir étaient bien restitués au corps politique, du moins en droit; mais il se trouvait que ces instruments étaient confiés à un seul homme, investi d’une mission «exceptionnelle».
Enfin, à l’intérieur du Sénat, Auguste était le personnage le plus important. C’est lui qui possédait la plus grande «auctoritas» : on l’écoutait parce qu’il tenait de ses actions antérieures et de son succès. Il était «Princeps senatus» (personnage au rang le plus élevé du Sénat), chef moral incontesté parmi ses égaux. Chacune de ses paroles, chacun de ses avis étaient «exemplaires». Ce titre lui donnait le droit de donner le premier son avis au Sénat. Et ce premier avis était de très grande importance puisque, la plupart du temps, il était suivi par les autres.
Le dernier élément des «pouvoirs» d’Auguste à l’intérieur de la «Respublica restituta» venait de sa richesse personnelle. Successeur en Égypte de Ptolémée, il possédait des revenus immenses, qui n’étaient pas versés au trésor public (l’aerarium saturni, géré par le Sénat) mais dans sa cassette particulière (le fisc). Ces ressources lui permettaient d’assumer la charge de certains services publics en des moments difficiles (entretien des routes, ravitaillement de Rome ou adductions d’eau, comme l’avait fait Agrippa). Là encore, ce système n’était que le développement d’une coutume républicaine. En tout temps, des généraux victorieux, surtout s’ils avaient été honorés du triomphe, rendaient au Peuple romain une partie du produit de leur butin, sous forme de grands travaux publics ou de jeux.
L’État romain conservait ses deux instances fondamentales, le Sénat et les Comices (assemblées électorales) avec toutefois une différence : leur fonctionnement se trouvait dominé par un «Princeps», l’homme que les dieux avaient désigné comme guide. Cette constitution de 27 était assez semblable à celle qu’avait imaginée Cicéron dans un ouvrage intitulé le «De Republica».
Après la réorganisation de 27, Auguste décida de s’éloigner quelque temps, à la façon des législateurs antiques. Il espérait qu’en son absence, les institutions qu’il avait données à l’État joueraient plus librement. Vers le milieu de l’année, il se rendit en Gaule et, de là, passa en Espagne. Il laissait à Rome trois agents dévoués : Agrippa, Mécène et Statilius Taurus.
Auguste rentra victorieusement à Rome en 24. Mais l’état de sa santé était critique. Le bruit de sa mort avait couru. L’opposition reprenait espoir de ce de fait. Une conjuration éclata dans l’entourage même du prince. Son propre collègue du Consulat pour l’année 23, Terentius Varro Murena, le beau-frère de Mécène, fut soudain mis en accusation, condamné en son absence et sommairement exécuté. Auguste se donna un autre collègue : Calpurnius Pison, un républicain authentique. Mais bientôt, sa maladie s’aggrava. Et voici qu’au Palatin se joua une scène tragique. Auguste, muet, étendu sur son lit, remit à Pison les derniers secrets de l’administration et tendit son anneau à Agrippa. Ce geste était clair : Pison héritait de la gestion du Consulat et Agrippa, de tout ce qui faisait la position personnelle d’Auguste (sa fortune et sans doute son Imperium proconsulaire). Mais que deviendrait le régime sans l’«auctoritas» d’Auguste ? Il semblait que les dieux avaient trahi : la mission divine des Julii, qu’il tenait de César, n’était plus qu’une amère dérision. Toutefois, Auguste survécut. L’ordonnance d’un médecin grec fut l’instrument du miracle. Quelques bains froids, pris à temps, rendirent le prince à la santé. L’œuvre pouvait ainsi continuer. Mais l’alerte avait révélé les lacunes et le danger du système. Il fallait séparer davantage les pouvoirs du prince et ceux des magistrats ordinaires.
Pour ce faire, Auguste renonça à revêtir chaque année le Consulat. En revanche, il s’attribua, à partir du 1er juillet 23, la «puissance tribunicienne», c’est-à-dire non seulement l’inviolabilité personnelle, mais surtout le droit de veto sur les actes de tous les magistrats. Ce droit qu’il avait jusque là possédé comme consul, il devait le conserver sous une forme nouvelle. Cette puissance tribunicienne fut si essentielle au régime du Principat que, jusqu’à la fin de l’Empire, son renouvellement annuel au 10 décembre servit à dater les années de chaque règne. Pour conserver, d’autre part, la libre disposition des forces militaires, Auguste revêtit l’Imperium proconsulaire non plus à l’intérieur de certaines provinces, mais dans l’Empire tout entier, et s’arrogea, dans Rome même, l’Imperium militaire, ce qui était contraire à toute tradition. Cela lui donnait le droit de conserver des troupes dans la capitale. Ces «cohortes prétoriennes» furent appelées à peser un poids important sur le sort de l’Empire. La réorganisation de 23 revenait, on le voit, sur les concessions accordées en 27. Auguste créait, à côté des institutions de la «République libre», une puissante machine de despotisme.
1.10. La succession d’Auguste
L’alerte de 23 avait fait ressortir un ambigu problème : celui de la succession d’Auguste. Le successeur ne pouvait être qu’un représentant de cette famille, héritier de sa propre divinité, comme lui-même avait hérité du dieu César. Mais les dieux lui avaient jusqu’ici refusé un fils. Un premier mariage avec Claudia, la belle-fille d’Antoine, mariage imposé par les vétérans de César comme gage de bonne entente entre Octave et Antoine, n’avait même pas été consommé. A la fin de l’année 40, Octave épousa Scribonia, veuve de deux consulaires, qui lui donna une fille : Julia. Mais il divorça bientôt, écœuré, dit-il, du «caractère insupportable de sa femme». Le 17 janvier 38, il épousa Livia Drusilla qui dut, pour cela, abandonner son mari, T. Claudius Nero, qu’elle aimait, dont elle avait déjà eu un fils (le futur empereur Tibère), et dont elle attendait un second enfant. Octave était devenu amoureux d’elle et rien ne put le dissuader de patienter au moins jusqu’à la naissance de l’enfant qui devait être un fils. Mais le mariage avec Livia demeura stérile et Auguste dut chercher un successeur en dehors de sa postérité directe. Lui-même n’était pas le fils véritable de César par le sang, il n’en était que le petit neveu. Or, la sœur d’Auguste, Octavie, l’épouse malheureuse d’Antoine, avait eu trois enfants d’un premier mariage avec C. Claudius Marcellus : deux filles, Marcella major et Marcella minor et un fils, M. Marcellus, né vers 42. C’est vers ce jeune homme que se tourna le regard d’Auguste. En 29 déjà, il avait figuré, ainsi que le beau-fils d’Auguste, Tibère, dans la pompe triomphale du mois d’août, à la droite de son oncle. Puis Auguste l’avait pris avec lui lors des ses campagnes contre les Cantabres (comme lui-même avait suivi César au temps de Munda) et, en 25, il lui avait donné en mariage sa fille Julia. Il semblait alors évident à tous que Marcellus était appelé à devenir l’héritier d’Auguste. Auguste éloigna Agrippa de Rome, en lui confiant une mission en Orient. Son vieux compagnon de lutte n’aimait pas Marcellus et voyait avec mélancolie les honneurs s’accumuler sur cette jeune tête. Tout laissait croire qu’Auguste ne tarderait pas à adopter Marcellus. Mais, malheureusement, après la célébration des «Ludi Romani», voici que Marcellus tomba malade et mourut, sans doute vers la fin d’octobre 23.
Auguste devait se rendre à l’évidence, les dieux ne lui avaient pas encore désigné l’héritier attendu, nécessaire pour assurer la continuité et l’équilibre même du Principat. Dès qu’il put quitter Rome, il repartit et cette fois, se dirigea vers l’Orient. Alors qu’il était encore en Sicile, il rappela Agrippa, le contraignit au divorce et lui fit épouser Julia, la veuve de Marcellus. C’est en Julia que reposait désormais le destin des «Julii» et, cette fois, les dieux étaient favorables. A deux ans d’intervalle naquirent deux garçons, Gaïus et Lucius César. Auguste rentra en Orient et en 17 av. J.-C., célébra enfin les jeux séculaires.
À la mort d’Agrippa, en 12 av. J.-C., Auguste fit aussitôt épouser Julia à Tibère, qu’il obligea pour cela au divorce. Tibère était essentiellement chargé de veiller sur l’éducation des deux jeunes princes, qu’Auguste avait adoptés dès leur naissance. Tibère se retrouvait dans la même situation qu’Agrippa quelques années auparavant.
En 6 av. J.-C., Auguste associa Tibère pour cinq ans à la puissance tribunicienne et l’envoya en Orient, comme il avait envoyé Agrippa en 23. Mais Tibère, moins docile que celui-ci, abandonna toute activité politique et se retira à Rhodes, en un exil volontaire, s’adonnant entièrement à l’étude des lettres. Tibère ainsi écarté de la scène, Gaïus et Lucius César furent comblés d’honneur. On décida, dès l’année 5 av. J.-C., que l’aîné, Gaïus, recevrait le Consulat avant l’âge, en 1 ap. J.-C. et que trois ans plus tard, ce serait le tour de son frère. Pour compléter la formation de Gaïus et le «présenter» à l’Empire, Auguste le chargea, en 1 av. J.-C., comme consul désigné, d’une mission militaire sur la frontière du Danube, puis l’envoya en Orient, où le jeune prince eut une entrevue avec le roi des Parthes. Mais, peu de temps après, alors qu’il tentait de rétablir l’ordre en Arménie, Gaïus fut blessé, au cours d’un siège; toute énergie brisée, il devait mourir de sa blessure après plusieurs mois de maladie (21 février 4 ap. J.-C.). Le coup était d’autant plus rude pour Auguste que l’autre, Lucius César, était mort à Marseille, deux ans plus tôt (20 août 2 ap. J.-C.). Auguste avait alors atteint sa soixante-septième année et le problème de sa succession semblait aussi loin de recevoir une solution qu’il l’avait été en 23 av. J.-C.
Pour résoudre enfin le problème de sa succession, Auguste procéda à deux adoptions simultanées. Celle de Tibère et celle d’Agrippa Postume, le frère de Gaïus et Lucius, né en 12 av. J.-C. après la mort de son père. «Puisque une fortune cruelle m’a enlevé mes fils Gaïus et Lucius, que Tibère César soit mon héritier, pour la moitié et un sixième…». Auguste avouait cruellement qu’il avait eu la main forcée par le destin. Mais l’adoption simultanée d’Agrippa Postume indiquait aussi qu’il entendait ménager l’avenir : si lui-même survivait assez longtemps pour que le jeune homme fut en âge de lui succéder, Tibère serait une fois de plus éliminé. Si, au contraire, Tibère était effectivement appelé à devenir le maître de l’Empire, Auguste avait pris une autre précaution destinée à empêcher que le pouvoir ne sortît définitivement de la branche julienne de sa famille.
En adoptant son beau-fils, il avait enjoint à celui-ci d’adopter Germanicus, qui était le petit-fils d’Octavie et qui, de plus, avait épousé une sœur de Gaïus et Lucius César, Agrippine, l’aînée. Au pire, Tibère ne deviendrait donc que le dépositaire du pouvoir impérial et la «prédestination» des «Julii» ne serait pas trahie. Mais, une fois de plus, les calculs du vieil empereur furent déjoués. Agrippa Postume ne tarda pas à être relégué dans une île, sous prétexte que son caractère brutal et sa stupidité rendaient impossible qu’il restât à Rome. Au début du règne de Tibère, il devait être exécuté.
En 13 ap. J.-C., lorsqu’il sentit que la mort approchait, Auguste prit les dernières dispositions possibles. Il associa entièrement Tibère à son pouvoir, lui donnant, par une loi, des attributions égales aux siennes. Le 17 août 14, Auguste mourut. A Rome, les sénateurs, le Peuple et les soldats n’hésitèrent pas à prêter serment de fidélité à Tibère, créant entre eux et lui cette allégeance personnelle sur laquelle reposait l’«auctoritas» du prince. Auguste fut officiellement divinisé : le Principat avait traversé sans heurt la dernière épreuve, il avait survécu à son créateur.
2. L’activité économique au temps d’Auguste
2.1. Généralités
La politique économique de l’Empire consistait avant tout à rendre plus facile et plus agréable la vie de la population de Rome. D’une province à l’autre, les échanges commerciaux étaient assez rares; ils ne s’effectuaient que sur de courtes distances et étaient peu importants. Les routes les plus empruntées aboutissaient toutes à la capitale. Rome les utilisait en y expédiant ses ordres et ses chefs. Les provinces, au contraire, y amenaient les produits, la main-d’œuvre, les tributs. Des postes de soldats surveillaient les nœuds de communications. Grâce à ces mesures, la piraterie et le banditisme n’étaient plus à craindre en temps normal.
Peu de voies avaient été construites avant la République. C’est pourquoi les empereurs avenirs eurent comme tâche d’améliorer le réseau routier en Italie et surtout dans les provinces. Beaucoup de travail fut accompli en Gaule, par Agrippa et Auguste. C’est Auguste qui organisa le réseau espagnol, créant la grande artère méridionale de ce pays (Carthagène – Cadix) et les routes de la région nord-ouest, conquises par lui. Auguste améliora aussi les communications en Égypte et en Asie mineure.
C’est par ces voies que l’on amenait les vivres à Rome, ainsi que les matériaux de construction ou les produits manufacturés. Même la Chine et l’Inde participaient à l’implantation romaine de raretés exotiques, très recherchées dans la capitale (soie, porcelaine). Le commerce maritime avec l’Inde, par la mer Rouge et l’océan Indien, devint plus régulier et plus actif vers le milieu du siècle quand on sut tirer parti des moussons.
Parmi les denrées importées, il est évident que le blé y tint la plus importante part. Il était l’ingrédient principal de l’alimentation romaine (sous forme de pain ou de bouillie). Une des grandes préoccupations des empereurs était l’arrivage, en temps voulu, et les quantités nécessaires à nourrir la population. Le blé arrivait d’un peu partout mais surtout de Sicile, d’Afrique et d’Égypte. Les empereurs, par l’intermédiaire des gouverneurs de provinces et des procurateurs, s’efforçaient d’augmenter les quantités récoltées et de faire baisser les prix.
De même, c’était avant tout pour rendre la ville de Rome plus commode et plus belle qu’on exploitait dans les provinces les carrières et les forêts. De tous côtés, on faisait venir à Rome des travailleurs, hommes libres, esclaves ou prisonniers de guerre, soit comme manœuvres, soit comme ouvriers qualifiés. Les impôts finançaient en grande partie les édifices romains. Par ailleurs, on sait qu’Auguste n’oublia pas de se glorifier parce qu’ayant transformé une ville de briques en ville de marbre. Sous son règne, de nombreux et importants édifices furent construits (temples, théâtres, thermes,…). Les incendies, notamment, servaient de prétexte à de magnifiques travaux.
2.2. Les finances et les impôts
Depuis 167 av. J.-C., il n’y avait plus eu d’impôt. Les grands domaines de l’État et le fruit des conquêtes suffisaient. Mais les innovations futures allaient coûter beaucoup plus cher. Plusieurs ressources supplémentaires vinrent dès lors alimenter les caisses de l’État :
- Le tributum : impôt versé par les provinces. On tentait de diminuer la puissance qu’avaient acquis les grands domaines de l’État (les «societates verctigalium») qui constituaient des groupes de pressions à l’égard des autorités.
- Le doublement du tribut des «Tres Galliae».
Puis, en 6 ap. J.-C., après la remise en ordre fiscale faite grâce aux recensements et à l’amélioration du système, Auguste fut obligé de créer de nouveaux impôts, les ressources traditionnelles ne suffisant plus.
- La «vicesima beneditatium et legatorum», à savoir le vingtième sur les successions et les legs (à partir d’une certaine somme !).
- La «centesima rerum venalium» : le centième sur les ventes. Il fut porté, dès 7 ap. J.-C. au vingt-cinquième sur les ventes d’esclaves (vicesima quinta venalium manipiorium).
Ces deux nouveaux impôts, surtout le premier, eurent un rendement très important.
Les revenus traditionnels des provinces sénatoriales et de l’Italie revenait au vieil «aerarium», c’est-à-dire le trésor. C’était le Sénat qui en tenait l’administration («aerarium senatus»). Auguste créa un second aerarium «militare», destiné à payer l’indemnité de retraite de ses soldats; c’est à ce second trésor que fut affecté le produit des nouveaux impôts.
L’empereur avait ses propres revenus : «tributum» et «vectigalia» des provinces impériales, certains «vectigalia» des provinces sénatoriales et les revenus de ses immenses propriétés. Il disposait également de biens confisqués, en particulier à ses adversaires de l’époque des guerres civiles. En fait, l’empereur se trouvait être plus riche que le Sénat, auquel il dut souvent apporter une aide financière. Peut-être les revenus de l’empereur étaient-ils versé dans une caisse unique – le «fiscus» – ou avait-il des «fisci» provinciaux ? Toutes les finances du Sénat étaient dirigées par des préteurs tirés au sort et celles de l’empereur par des procurateurs impériaux.
3. Rome, la ville et sa société
Rome était devenue la plus grande agglomération du monde antique. Ses faubourgs (les «continentia») débordaient largement au-delà de la vieille muraille servienne. Sa population devait être de l’ordre du million d’habitants.
Les esclaves mis à part, elle comptait une très forte majorité de citoyens et des pérégrins (étrangers au rang de dignité bien inférieur aux romains, citoyens). Les citoyens eux-mêmes étaient toutefois d’origines très variées.
La société civique romaine n’avait jamais été égalitaire et ne dut jamais le devenir. Les différences y étaient plus marquées par la dignité («dignitas») que par la fortune. La dignité variait selon l’«ordos» auquel le citoyen appartenait. Ces «ordos» étaient des listes de gens désignant à peu près leur profession (par exemple l’«ordo senatorius», l’ordre sénatorial, ou l’«ordo equesta», l’ordre équestre).
Cependant, deux dangers menaçaient la société civique : le trop grand nombre des affranchissements et la dépopulation. L’affranchi devenait citoyen romain sous réserve de quelques restrictions qui ne frappaient pas ses enfants. A la fin de la République, cette mode des affranchissements devint inquiétante car il y avait des esclaves nés en Italie : la plupart avaient été importés alors qu’ils étaient adultes et avaient apportés avec eux une mentalité étrangère. De plus, cette mode avait pris une extension importante chez les riches car ils accordaient une plus grande importance au nombre qu’à la qualité. C’était surtout vrai pour les affranchis par testament, car les affranchis devaient participer aux obsèques de leur patron dont leur nombre soulignait l’importance. En 2 av. J.-C., une loi «Fuglia Caninia» apporta des limites aux affranchissements testamentaires. Ceux-ci qui ne purent plus porter sur plus de cent individus. En 6 apr. J. -C., la loi «Aelia-Sentia» ajouta d’autres restrictions (affranchis : minimum 30 ans, maître : minimum 20 ans).
Plus grave que les affranchissements, la dépopulation inquiétait les autorités. Trop de citoyens ne se mariaient pas ou se mariaient tard, trop d’entre eux n’avaient pas d’enfants. Dans les hautes classes, le divorce, cause de dénatalité, était pratiqué facilement. Bien entendu, à cela s’ajoutait une mortalité infantile considérable. Toutes les catégories sociales étaient touchées, mais les effets désastreux étaient particulièrement visibles chez les sénateurs et chez les chevaliers.
Dés le début de son règne, Auguste voulut réagir. Une politique nataliste fut engagée, mais sans réel succès. Malgré les oppositions, Auguste fit enfin, en 18 av. J.-C. une «Lex Julia de manitandis ordinibus» et une «Lex Julia de adulteriis», complétées, en 9 ap. J.-C, par une «Lex Papia Poppaea» : l’adultère des femmes devint un crime; les sénateurs pères de famille seraient avantagés dans leur carrière; les célibataires et hommes mariés sans enfant se voyaient imposés des restrictions à leurs droits d’héritage; puis, le mariage avec des affranchies serait autorisé, sauf aux sénateurs. Il est impossible de dire quelle fut l’efficacité de ces mesures.
Rome subissait également un certain nombre de problèmes urbains. La vie dans cette ville était attrayante, mais difficile. Elle était chère, les régions voisines et même la péninsule italienne dans son ensemble, ne pouvaient assurer un approvisionnement convenable en blé, base essentielle de la nourriture. L’approvisionnement en eau devenait lui-même insuffisant. En outre, les incendies et les débordements du Tibre causaient beaucoup de dégâts. Auguste dut s’en occuper, souvent sous la pression des nécessités et même à la suite de manifestations populaires.
Du point de vue architectural, la ville de Rome s’embellissait à mesure que les années passaient. On avait pris l’habitude de faire appel aux architectes hellénistiques, chez qui, d’ailleurs, les artistes italiens étaient formés. Les architectes romains commençaient même à maîtriser des techniques que le monde hellénistique n’avait guère connues.
On faisait venir des belles pierres de très loin pour bâtir édifices et monuments. Les richesses importées des pays formant le pourtour de la Méditerranée accroissaient la beauté et le luxe des monuments romains. Auguste alla même jusqu’à faire venir des obélisques égyptiens. C. Cestius, lui, voulut un tombeau en forme de pyramide…
Élever un temple aux divinités auxquelles ils avaient attribué leur victoire avait été une vieille coutume des généraux romains que Pompée, puis César, avaient fait tourner à leur propre glorification en construisant de grandioses ensembles monumentaux.
Octave reprit cette tradition en faisant commencer sur le Palatin un temple d’Apollon (achevé en 28), si bien qu’on le considéra comme un ex-voto d’Actium. Celui de «Mars Vltor» (Mars vengeur de César) ne fut terminé qu’en 2 av. J.-C. (sa construction avait été très lente) : il s’élevait au centre d’un nouveau forum, le Forum d’Auguste. Ce dernier fit beaucoup construire mais n’attacha son nom qu’à ce forum. Au Champ-de-Mars, L. Cornelius Balbus éleva un théâtre et Statilius Taurus un amphithéâtre qui portèrent leur nom. Il en fut de même pour les thermes qu’Agrippa construisit dans cette région (les premiers thermes monumentaux de Rome) ainsi que pour le nouveau port qu’il jeta sur le Tibre. Au Champ-de-Mars encore, Agrippa fit construire un temple auquel il donna le nom singulier de Panthéon, c’est-à-dire le temple de tous les dieux, mais les divinités qui y étaient adorées n’étaient que Mars, Vénus et le divin Jules.
Malgré la modestie apparente d’Auguste, c’est sa gloire que proclamaient toutes ces constructions.
Dès son édilité de 33 av. J.-C., Agrippa fit effectuer beaucoup de travaux de rénovations et de constructions à Rome. Il s’occupa ardemment des aqueducs («Aqua Julia», «Aqua Virgo»). Agrippa avait créé une équipe d’esclaves spécialisés dans l’entretien des aqueducs qui devinrent esclaves publics après sa mort.
L’approvisionnement en blé – l’«annone» – qui avait toujours été un gros souci dans les cités méditerranéennes, l’était plus encore pour Rome depuis sa croissance. L’évolution de l’agriculture italienne avait obligé la cité à utiliser surtout des grains venus d’outre-mer. L’épineuse administration du blé était gérée par une commission sénatoriale, nommée pour apaiser les crises dues aux manques d’approvisionnement. Mais ce système de commissions annuelles avait montré ses faiblesses. Aussi Auguste établit-il, entre 8 et 14, un préfet impérial permanent, recruté parmi les chevaliers : le «Praefectus annonae» qui eut pour mission de trouver les grains, d’assurer leur acheminement et probablement de les stocker.
Une grande partie des cargaisons devaient être débarquées à Ostie, dans des conditions difficiles car les grands cargos ne pouvaient entrer à pleine charge dans l’embouchure du Tibre à cause d’une barre sous-marine. Un magistrat romain, le «Quaestor ostiensis», était chargé d’y régler l’activité portuaire. On songeait à construire un véritable port, sur la côte du Latium, mais Auguste n’osa pas entreprendre une œuvre aussi gigantesque et aussi difficile, vu les conditions naturelles. Les cargos, allégés d’une partie de leur cargaison, pouvaient remonter jusqu’à Rome. Les marchandises déchargées à Ostie étaient transportées par de grandes barques. Cette remontée exigeait trois jours de halage difficile, surtout à cause des dépôts alluviaux. D’ailleurs, c’est à cause de ceux-ci qu’Auguste fit nettoyer le lit du fleuve à maints endroits. Grâce à ce travail, l’écoulement des crues et la navigation étaient plus faciles.
En 15 ap. J.-C., cinq sénateurs : un consulaire et quatre métairiens furent nommés par Tibère pour s’occuper du fleuve et le surveiller. Cette décision fut prise après une très grave inondation.
En 58 av. J.-C, Clodus, tribun de la Plèbe, rendit possible la distribution gratuite d’un grain de certaine qualité. Mais pour avoir droit à ses distributions, il fallait être citoyen romain, domicilié à Rome, n’être ni sénateur, ni chevalier. Il fallait en outre être titulaire d’une «tessera annonaria» : compte annonaire, dont le nombre était limité.
Un autre problème, plus redoutable que les inondations, les incendies, sévissaient dans tous les quartiers. La République avait été incapable d’organiser contre eux une lutte sérieuse. Auguste mit à la disposition des édiles un corps de six cents esclaves pompiers, mais ce fut insuffisant. Aussi, en 6 ap. J.-C., créa-t-il sept cohortes de vigiles et plaça à leur tête un chevalier : le préfet des vigiles. Ces soldates, recrutés parmi les affranchis, luttaient contre les incendies et assumaient la police des rues la nuit.
La ville de Rome d’alors était divisée en quatre régions auxquelles s’ajoutait une cinquième au-delà du Tibre. Cette vieille division du territoire urbain ne correspondait plus du tout aux réalités. L’ensemble de l’agglomération fut donc réparti en quatorze régions dont chacune fut confiée à un magistrat tiré au sort parmi les préteurs, les tribuns de la Plèbe et les édiles. Il fut bâti une caserne de vigiles pour deux régions. Ces régions étaient subdivisées en «vici». Un «vicus» étant constitué par un carrefour et par les rues qui y convergeaient. Le «vicus» avait à sa tête des «vicimagistri», nommés par l’empereur parmi les petites gens du vicus. Ce furent très souvent des affranchis. Ils avaient des fonctions administratives et surtout religieuses. Ces quatorze régions furent créées en 7 av. J.-C.
4. L’Italie
L’Italie avait durement subi les effets des guerres civiles : levées de troupes, proscriptions, confiscations de tenues destinées à être distribuées aux soldats des vainqueurs. Comme Rome, l’Italie fut reconnaissante envers Octave d’avoir rétabli la paix générale et d’avoir sérieusement combattu le banditisme qui y sévissait.
La paix lui permit de retrouver la prospérité. L’Orient, ruiné par les guerres, mit beaucoup plus de temps à se redresser, tandis que les conquêtes ouvraient aux exportations italiennes des pays neufs, avides des vins et de l’huile d’olive de la péninsule, de ses céramiques et de l’ancienne Cisalpine. L’esclavage fournissait une main-d’œuvre abondante et relativement bon marché. Cette situation paraît avoir duré jusqu’à la fin du règne d’Auguste.
Sur le plan humain, l’Italie devenait vraiment une réalité. Dans les années de guerres civiles, les soldats levés dans ces différentes régions s’étaient trouvés mélangés et les langues locales disparaissaient rapidement devant le latin. Cette tendance fut facilitée par la remise en état des routes. Pour ce faire, des «curatores viarum» (curateurs des routes) furent nommés parmi les sénateurs.
L’Italie fut divisée en onze régions, mais qui n’étaient pas des provinces. Les cités restèrent les seules réalités vivantes et bénéficièrent d’avantages particuliers par rapport aux cités provinciales : les décurions des colonies italiennes purent prendre part à l’élection des magistrats romains en votant par correspondance. Auguste éleva des monuments dans certaines villes et leur accorda des «vectigalia» : des revenus de types divers. Quand il visitait une cité, il donnait mille sesterces par enfant aux plébiens pères de famille.
Citoyens romains, les italiens devaient toujours, en principe, faire leur service militaire. Mais l’armée devenant une armée de professionnels et l’Italie étant bien protégée par l’existence de cette armée permanente et par l’éloignement des frontières, il se produisit une sorte de démobilisation spontanée des esprits. Quand on croyait à des dangers exceptionnels, on voulait faire des levées, mais les résultats étaient déplorables : les mobilisables n’étaient pas entraînés ou ne se présentaient même pas, malgré les pénalités dont ils étaient menacés. On devait se contenter de vétérans et d’affranchis, dont beaucoup étaient même des esclaves qu’on affranchissait pour la circonstance. Quant aux engagements volontaires, ils commençaient à devenir rares dans les légions. On ne trouvait plus guère d’italiens que dans les cohortes prétoriennes ou dans les cohortes urbaines comme centurions. A la longue, cette désaffection des Italiens pour l’armée devait avoir de très graves conséquences.
5. Le mouvement intellectuel
Rome est le centre d’attraction où confluent de toutes parts les hommes et les idées. Un grand effort dans le mouvement intellectuel a été accompli sous Auguste, par lui-même et par plusieurs hommes de goût. Auguste s’intéressait activement à la vie littéraire. Il encourageait les écrivains et leur indiquait des sujets à traiter. C’est pendant le siècle d’Auguste que fut fondée, par Asinius Pollion, la première bibliothèque publique de Rome. Publius Vergilius Mano, plus connu sous le nom de Virgile (mort en 19 av. J.-C) occupa les dix dernières années de sa vie à la composition de l’«Enéide», épopée qui est une somme des idées, des croyances et des traditions romaines. Quintus Horatiums Flaccus, à savoir Horace (mort en 8 av. J.-C.) n’a plus écrit de satires après Actium : il a donné les «Epîtres» où la morale des paysans latins se combine avec les enseignements de philosophes, et les «Ocles» qui développent les thèmes rationaux sous des formes empruntées au lyrisme hellénique. D’autres encore : Tribulla, Propence, Ovide, célèbrent et poétisent, conformément aux vœux de l’empereur, le passé de Rome. L’œuvre la plus significative de l’époque est l’histoire de Tite-Live (Titus Livius, 58 av. J.-C. – 17 ap. J.-C) : partant des origines, elle conduisait jusqu’au règne d’Auguste et décrivait le déroulement magnifique des guerres et des conquêtes romaines.
Cette brillante floraison a, pour longtemps, dominé toute la littérature latine. Virgile, en particulier, est resté pendant des siècles la plus haute expression de la poésie. La propagande patriotique et la glorification du passé romain, telles qu’elles sont contenues dans les œuvres de Virgile et de Tite-Live, ont contribué à faire l’unité morale de l’Empire. Cette unité intellectuelle fut constituée au-delà des barrières linguistiques : elle s’étendait de l’orient hellénique à l’occident latin.
Un type d’enseignement prend forme : d’un bout à l’autre de l’Empire, les jeunes gens ont le même fond de connaissances. L’éducation à l’école, en commun, gagne du terrain sur l’instruction individuelle. Sous Auguste, de nombreux enfants fréquentent l’école. Ce mode d’enseignement commun à tout l’Empire contribue beaucoup à son unité. Il s’agit surtout de cours de rhétorique, dont les professeurs ont le même bagage, qu’ils soient situés en Orient ou en Occident.
Les rhéteurs exerçaient leurs élèves à plaider des procès fictifs dont les thèmes, la division et l’argumentation variaient peu. L’attitude du pouvoir à l’égard de cet enseignement était sensiblement différente de ce qu’elle avait été à l’époque républicaine : bienveillante dès les premiers règnes, elle passa peu à peu au soutien effectif. À l’imitation de ce qui se faisait depuis longtemps au pays grec, l’instruction tendait à devenir, en pays latin, une chose d’État.
Tous les hommes cultivés du Ier siècle ont ainsi reçu une préparation identique. La marque de la rhétorique était visible chez tous, même chez les plus grands et les plus originaux : même un historien comme Tite-Live, un poète comme Ovide ou un moraliste comme Sénéque, tous laissèrent transparaître sans cesse l’enseignement du rhéteur. L’uniformité de la culture était donc encore plus marquée chez les personnes moins rigoureuses.
Mais, hélas, cette haute littérature perdit du terrain avec le temps. Cette uniformité de la culture devint presque habituelle. Au théâtre, les pièces riches en textes et en pensées se transformèrent en petits mimes et courtes pièces gaies. C’est aussi la cause des caprices du public qui ne désirait pas être surpris, ni fatigué, ni devoir faire un trop grand effort d’attention. La littérature «moyenne» s’avéra être comme une espèce de concours général prolongé jusqu’à la vieillesse. On s’endormait sur l’enseignement traditionnel sans même plus trop chercher son sens propre, ni même inventer d’autres doctrines originales. Le stoïcisme et l’épicurisme, qui étaient les sectes les plus vivaces, se rejoignaient dans la morale pratique, en conseillant l’un et l’autre une attitude d’indépendance à l’égard des choses extérieures. On ne discutait que les petits côtés des doctrines, en s’abstenant de débattre et de renouveler les hautes questions qui les divisaient en théorie (rapports de la divinité et du monde, déterminisme et liberté). Dans tous les domaines, on publiait plus volontiers des résumés, des extraits, des florilèges ou des répertoires.
De telles méthodes de travail et d’enseignement avaient des inconvénients : cette culture était souvent superficielle et banale. Des esprits exclusivement entraînés aux exercices de la rhétorique manquaient de fraîcheur et de sincérité. En compensation, il fallait reconnaître que cette éducation, peu spécialisée, peut exigeante, se contentant de qualités moyennes et se mettant à la portée de tous par les instruments d’étude qu’elle employait, n’avait pas de difficulté à s’étendre dans l’espace et à se prolonger dans le temps : en fait, elle réalisait, dans la mesure du possible, l’unité intellectuelle du monde romain, pour des générations. Juvénal exprima cette vérité, dans le ton hyperbolique qui était sa manière habituelle, quand il évoqua l’Île lointaine de Thulé (Shetland ?) qui, perdue dans les brumes de l’océan septentrional, réclamait un professeur de rhétorique…
6. L’art
L’équilibre élégant et le style classique atteints par les contemporains d’Auguste poussait les générations suivantes vers un art moins pur et moins déclamatoire. L’art se diffusait à travers tout l’Empire dans une conception et des habitudes sensiblement uniformes. Ces traits, qui pouvaient résumer l’histoire de la littérature au Ier siècle, pouvaient aussi résumer l’histoire de l’art.
L’art de l’époque de César reposait essentiellement sur le même thème défini dans les derniers temps de la République. L’architecture était presque entièrement monopolisée par des éléments hellénistiques. Les éléments caractérisant l’époque impériale venaient d’Orient : ainsi l’emploi fréquent du «blocage» : béton de moellons et de mortier. C’est en cette matière que furent faites les grandes voûtes (palis, thermes, amphithéâtres). En sculpture, on voulait remonter à des modèles plus anciens. Les copies et les répliques d’œuvres grecques de la grande époque se multipliaient dans les édifices publics et les collections privées. Mais on ne pouvait se contenter de reproduire les statues anciennes et de former des musées. Il fallait décorer les édifices modernes, traduire plastiquement les événements contemporains. Dans ces tâches, où la part de création était plus large, on renonça à l’archaïsme, et l’on utilisa les effets pathétiques ou pittoresques mis à la mode par les ateliers hellénistiques des îles ou d’Asie mineure, ainsi que le raffinement de leur technique.
Quant à la peinture, elle était employée à couvrir de fresques les mures de toute habitation un peu luxueuse. Par le fait même de ce succès, elle s’industrialisa et l’habileté des décorateurs ne put donner le change sur la faible originalité de leurs productions dérivées de la peinture alexandrine.
L’ensemble le plus significatif de l’art au temps d’Auguste fut celui que formaient les bas-reliefs de l’autel de la Paix «Ara Pacis», élevé à Rome de 13 à 9 av. J.-C. Ces reliefs présentaient des portraits de personnages contemporains se mêlant aux images de divinités.
Ce classicisme romain se retrouvait à peu près tel quel dans les provinces. Dès l’ère d’Auguste, l’art de bâtir fut codifié. C’est ainsi que l’art italien fut connu dans tout l’Empire (même en Germanie !) et les constructions, bien qu’étant parfois très éloignées les unes des autres, ressemblaient beaucoup à celles de Rome.
Sous le règne des successeurs d’Auguste, cet art en général, se modifia progressivement. Les progrès de la technique et le goût des parvenus de la société nouvelle pour un luxe ostentatoire transforma la sobriété des anciens palais en colosses trop riches et trop grands. Les architectes aimaient à réunir dans le même édifice les trois ordres classiques : dorique, ionique et corinthien en les superposant d’étage en étage. Ce désir d’accumuler les ornements, renforcé dans la dernière partie du siècle par la recrudescence de l’influence orientale, aboutit à l’encombrement et à la confusion. L’évolution de la littérature et celle de l’art ont été similaires, mais non pas rigoureusement parallèles.
7. Les spectacles
La multiplication, à Rome et dans les grandes villes de province, des bibliothèques et des musées, installés dans les temples ou dans les portiques, mettaient à la portée du plus grand nombre, les plaisirs de l’esprit. Mais beaucoup aussi ne s’y intéressaient guère.
Les scènes littéraires étant progressivement abandonnées, ce sont les spectacles purement matériels (défilés, cortèges, concours athlétiques, courses de chars dans le cirque, combats de gladiateurs, naumachies et chasses dans l’amphithéâtre) qui tendaient à prendre le dessus.
A Rome, le Grand Cirque fut complètement restauré par Auguste. Le pouvoir réglementa soigneusement tous ces jeux en multipliant leurs occasions et surveilla la répartition des dépenses qu’ils entraînaient. On savait que, satisfait par ces distractions, le Peuple n’aurait pas d’autres exigences plus gênantes. Les controverses acharnées auxquelles les jeux du cirque et de l’amphithéâtre donnaient lieu, constituaient un bon dérivatif pour les émotions et un succédané commode pour les gouvernants.
Carte géographique
Carte historique de l’Europe, An 1 (Euratlas)
Arbre généalogique
Bibliographie
- « Auguste et Néron, le secret de l’Empire », Gilbert Charles-Picard (Hachette) 1962
- « Le siècle d’Auguste », Donald Ecul (Albin Michel) 1970
- « Le siècle d’Auguste », Pierre Grimal (Que sais-je?) 1968
- « L’Empire Romain, tome 1: le Haut-empire de la bataille d’Actium à l’assassinat de Sévère Alexandre », Joël le Gale / Marcel le Glay (Presses Universitaires de France) 1987
- « L’Empire Romain », Eugène Albertini (Presses Universitaires de France) 1970
- « Larousse des jeunes, encyclopédie » (Larousse) 1975
- « Encyclopaedia Universalis »